Casseurs2hype on Mon, 25 Nov 2002 16:46:02 +0100 (CET)


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[nettime-fr] "La hype : du fascisme atrophié"


La hype comme fascisme atrophié ? Le parallèle est osé, mais les critères
communs sont troublants : culte de la personnalité (le fasciste célèbre le
culte du chef, le hypeux célébre le culte de soi), suprématie d'une caste
sur toutes les autres (la hype se définit comme une élite, et le plus triste
est qu'elle y croit parfois), et terreur morale (diktat de la tendance, du
buzz et de l'absolue nécessité de rester hype) sont présents dans les deux
phénomènes (toutes proportions gardées, et nonobstant l'horreur de l'un et
le ridicule de l'autre).

On parle du « diktat de la mode », on ne croit pas si bien dire.

Le hypeux est la version chromée toute-option de l'homo festivus de Muray,
qui ne fonctionne qu'à l'affect et au ressenti. Un individu jouisseur mais
inconséquent, dont l'unique culte vise sa propre personnalité narcissique,
encouragé par tout un fatras médiatique et publicitaire, quelques théories
sur le nouvel hédonisme sauce Hakim Bey, le néo-dandysme creux de quelques
bobos de chaîne cryptée, la jouissance de l'instant présent, et les thèses
sur le retour du dionysiaque. On glorifie l'instinct, quel qu'il soit.

Mais loin de libérer les instincts animaux du petit occidental consumériste,
ce fade hédonisme narcissique actuel n'est qu'un papier cadeau qui emballe
la standardisation de l'individu. On professe l'unique pour le niveler.
"Vous êtes libres, vous êtes formidables, « we can be heroes », scandent les
publicités, et ces conneries d'ouvrages sur le « développement personnel ».
Négation de l'effort, négation de la rigueur, glorification du contentement
de peu, et suprématie du caprice sur le labeur (inversion ironique de la
phrase de Cioran) sont des slogans à destination de volailles qui se sentent
libres parce que la pub leur a dit qu'elles l'étaient. Mais toutes
consomment à peu de choses près les mêmes produits, argumentent selon les
mêmes stéréotypes, toutes sont « follement originales », et dramatiquement
conformistes.

Ce crétin de hypeux moderne croit donc évoluer dans un « village global »
ludique, une sorte de Disneyland géant, entre des simulacres de cultures
réïfiées et vendues sous cellophane, et des produits de consommation dont la
collecte éternelle ne vise qu'à combler son vide existentiel (« quel meuble
me définit le mieux ? Quelle sortie ne pas rater ce mois-ci ?»), et ne
déplore que l'obscénité du quotidien.

Dans cette optique, la hype est une des expression la plus aboutie du
tribalisme. Ce communautarisme fait un grand retour dans toutes les
composantes de la société, et la petite élite médiatico-branchouille n'
échappe pas au phénomène. Maffesoli a redéfini le concept de « tribus », de
micro-castes sociales postmodernes, rassemblant les individus dans de
nouveaux cercles depuis l'effondrement du modèle familial et la faillite des
comportements de classe.

Qu'il soit appliqué aux modes de vies (night-clubbing, dresscodes, voyages.)
, ou aux tendances sexuelles, le tribalisme est l'élément de rattachement,
la nouvelle norme de proximité. Et on le clame haut et fort, quitte à
adopter ainsi un comportement de mouton crétin. Cette revendication n'est
plus celle d'une « réalisation », mais d'une « appartenance » : on est
original, différent, en ce qu'on ne fait pas partie des moutons de la tribu
d'en face. On est "clubber" ? Cool, au moins on regarde pas TF1. On lit Nova
? Au moins ne lit-on pas Management. C'est une dialectique aussi simpliste
que ça. Une dialectique de l'opposition, de la définition négative. Bref, du
vent.

On se concentre sur tous ceux auxquels on ne ressemble pas, en occultant
tous ceux desquels on est un parfait clone.

La tribu est du reste rapidement récupérée par les publicitaires comme
argument de vente. C'est un élément de rattachement providentiel pour les
responsables marketing, qui n'ont qu'à la traduire en créneau commercial. L'
amitié de Ferré se résume à quelques textos qui permettent de « garder le
contact avec sa tribu » (blip ! blip !) ; et Jean-No erre entre növö-situs
post-deleuziens et skaters de la Courneuve. La tribu n'est qu'un miroir, un
environnement immédiat qui légitime le culte de soi, le rend crédible,
plausible, « naturel ».

La hype est un affligeant troupeau d'individus-extrêmement-originaux-
intéressants-et-cools. Un conglomérat de personnalités autocélébrées.

Si le fascisme, c'est la multitude vouant un culte immodéré à une seule
personne, la hype est la multitude de cultes personnels immodérés.

Les historiens seront évidemment moins sévères, mais ils n'ont pas fini de
se marrer."

Koozil pour http://casseurs2hype.fr.fm
V.2 "La peau et les os"


 
 
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