nicolas maleve on Wed, 28 Apr 2004 10:04:03 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] [Fwd:L'avenir de la recherche passe le pari de la citoyenneté par Christophe Bonneuil]


From:    Sébastien Denys <sdenys at ulb.ac.be>
Date:    Mon, April 26, 2004 4:07 pm
To:      intercage@lists.collectifs.net
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Bonjour,

Je vous recommande ce texte de Christophe Bonneuil. Il a également rédigé
la  postface de l'édition française du livre "Choix technologiques, choix
de  société" de Richard Sclove qui explicite de façon plus détaillée les
conviction  qui anime le texte ci-dessous.

Une sélection autour de la question de l'"élaboration des savoirs":

"Ce nouveau régime, fondé sur le brevet systématique des savoirs, du
vivant et des lignes de code informatique, a émergé aux États-Unis autour
de 1980. Il s'est ensuite imposé à toute la planète, via les accords de
l'OMC de 1994 sur la propriété intellectuelle. "

"Cette suprématie des logiques de rentabilité financière de court terme
sur la recherche limite la capacité collective de nos sociétés à produire
des connaissances libres, à élaborer une expertise publique indépendante
et à développer des innovations d'intérêt général (logiciel libre, santé
publique au Sud, santé environnementale au nord, développement et
agriculture durable)."

"À côté de la recherche publique et du secteur privé, émerge ainsi un
tiers secteur de la recherche associative, de l'expertise citoyenne et de
l'innovation coopérative. Nous sommes entrés dans une société de la
connaissance distribuée. De toutes ses mailles fleurissent les savoirs et
les innovations qui font la cohésion sociale et la productivité économique
de notre société"

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L'avenir de la recherche passe le pari de la citoyenneté

par Christophe Bonneuil, historien des sciences au CNRS (centre Koyré,
Paris),  secrétaire
de la fondation Sciences citoyennes (www.sciencescitoyennes.org).

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-04-23/2004-04-23-392429

L'attaque du gouvernement contre la recherche publique de ces derniers
mois, tout comme les débats sociétaux (sang contaminé, amiante, clonage,
OGM) de ces dernières années, sont les pointes de l'iceberg d'un profond
mouvement de transformation des rapports entre science et société, en
cours depuis deux ou trois décennies.

La première facette de cette transformation a touché les modes de
production et de polarisation des savoirs. Pendant les trente glorieuses,
un État économiquement interventionniste et socialement redistributeur
s'est fait entrepreneur de science et a bâti notre système de recherche.
Aujourd'hui on tend au contraire vers une science pilotée par le marché.
La réduction néolibérale du périmètre économique et des ambitions sociales
de l'État, et la place croissante de l'immatériel dans la production de
valeur ajoutée ont en effet conduit à des politiques de recherche, avant
tout soucieuses de " valorisation " économique autour d'un nouveau régime
de propriété
intellectuelle.

Ce nouveau régime, fondé sur le brevet systématique des savoirs, du vivant
et des lignes de code informatique, a émergé aux États-Unis autour de
1980. Il s'est ensuite imposé à toute la planète, via les accords de l'OMC
de 1994 sur la propriété intellectuelle. Dans ce nouveau système de
recherche qui s'affirme, les recherches les plus fondamentales sont donc
de plus en plus jugées par les marchés financiers et non plus seulement
par les pairs. Dans les sciences de la vie, ce régime du brevet large a
conduit à une course aux gènes (au détriment d'approches plus
intégratives), et à une concentration oligopolistique.

La capacité des méga firmes agrochimiques et pharmaceutiques à pratiquer
et à orienter la recherche dépasse aujourd'hui celles des pouvoirs
publics. Cette suprématie des logiques de rentabilité financière de court
terme sur la recherche limite la capacité collective de nos sociétés à
produire des connaissances libres, à élaborer une expertise publique
indépendante et à développer des innovations d'intérêt général (logiciel
libre, santé publique au Sud, santé environnementale au nord,
développement et agriculture durable). Ainsi, Monsanto et Dupont réunis
détiennent-ils plus de brevets en biotechnologie végétale que tout le
secteur public du monde, et fixent l'agenda des thématiques de recherche.
Dans le domaine de la santé, seulement 0,001 % du budget de la recherche
biomédicale (publique et privée) mondiale est consacré à l'étude des
maladies infectieuses négligées des pays pauvres (1).

Comme tant d'autres secteurs, la recherche a donc été profondément
transformée par la mondialisation néolibérale. C'est bien cette nouvelle
norme de financiarisation, de privatisation et de " flexibilisation " de
la production des savoirs que le mouvement Sauvons la recherche a permis
de commencer à questionner.

La seconde facette des transformations en cours des rapports entre science
et société est l'irruption des " profanes " et de l'espace public.
Autrefois, la négociation des choix de recherche et d'innovation était
étroitement cantonnée au triangle formé par les chercheurs, les décideurs
étatiques et les entrepreneurs privés. Puis elle était diffusée (voire
imposée) à la société civile (voir notre parc nucléaire, surdimensionné).
Aujourd'hui le rapport de forces a évolué en faveur d'une société civile
plus éduquée, plus distante des sirènes du " progrès " et moins encline à
déléguer les choix à des institutions scientifiques lointaines : des
laboratoires associatifs sont ainsi parvenus à réfuter le mensonge d'État
sur le nuage de Tchernobyl, des ONG ont contesté en justice des décisions
technico-scientifiques de l'État au nom du principe de précaution, un
mouvement citoyen européen a pu bloquer et infléchir une trajectoire
technologique (OGM) qui semblait acquise il y a dix ans.

L'avènement des " profanes " et de l'espace public dans les choix
techniques et scientifiques se double d'une évolution moins visible mais
plus profonde encore. La production de savoirs et d'innovation est sortie
des espaces confinés des institutions spécialisées (centres de recherche
publics ou privés, bureaux des méthodes, comités d'experts). On voit des
intermittents produire un contre-plan. On voit le mouvement
altermondialiste construire une forte expertise sur les grandes questions
économiques, scientifiques et médicales internationales. On voit Internet
concurrencer les institutions traditionnelles de transmission des savoirs
(école, musées, médias). On voit des malades du sida co-élaborer les
protocoles d'essais thérapeutiques avec les chercheurs. On voit avec le
logiciel libre monter une technologie née, en marge des firmes et des
universités, de la libre coopération de passionnés ; on voit de simples
paysans ou citoyens devenir acteurs reconnus de la gestion d'une
biodiversité qu'on croyait naguère gérer dans des réserves ou des
frigidaires scientifiques.

À côté de la recherche publique et du secteur privé, émerge ainsi un tiers
secteur de la recherche associative, de l'expertise citoyenne et de
l'innovation coopérative. Nous sommes entrés dans une société de la
connaissance distribuée. De toutes ses mailles fleurissent les savoirs et
les innovations qui font la cohésion sociale et la productivité économique
de notre société. Les décideurs économiques ont si bien compris cette
évolution qu'ils ont adapté leurs formes de management pour mobiliser, au
mieux de leurs intérêts, ces " externalités positives " diffuses (gestion
par projet, décloisonnement, " management de la connaissance ", "
développement participatif ", etc.).

Sur la base de ces éléments d'analyse, quel nouveau contrat social peut-on
refonder entre recherche et société ? Trois pôles de production de savoir
et de polarisation des recherches sont en présence : un pôle académique,
un pôle marchand et un pôle sociétal. À moins de prétendre défendre le
premier pôle contre les deux autres en sanctuarisant la science (au risque
de faire en coulisse le jeu du pôle marchand - voir les positions de
l'Académie des sciences sur le principe de précaution), trois grands
scénarios restent envisageables, comme l'a montré l'étude Futuris de
prospective sur la recherche française.

Le premier est l'alliance du monde scientifique et des oligopoles
économiques. C'est le scénario dont nous nous approchons, où le
réductionnisme se conjugue avec la marchandisation, où les critères de
l'excellence scientifique et de la rentabilité à court terme s'accordent
comme par enchantement pour laisser sur le bord de la route des
disciplines comme les sciences humaines et sociales, la santé
environnementale (où la France ne représente que 1,5 % des publications
mondiales), l'agronomie et les sciences du vivant intégratives pour une
agriculture durable, les recherches sur les maladies du Sud.

Le deuxième est l'alliance du marché et d'une société civile à dominante
consommatrice. Le savoir ne vaudrait que comme instrument, la science y
serait une marchandise comme les autres à se procurer au plus bas prix sur
le marché mondial pour satisfaire des besoins de consommation ou de
sensationnel. La France abandonnerait toute ambition d'innovation
scientifique et technique et deviendrait un pays d'imitation, un parc de
loisirs pour touristes et retraités.

Le troisième est l'alliance entre les chercheurs et les citoyens mobilisés
pour coproduire les choix de recherche et les savoirs en vue de satisfaire
les besoins - non solvables à court terme - de notre planète et ses
habitants. Une politique ambitieuse pour la recherche publique en France
(et en Europe) y est possible, car enracinée dans le pari de
l'intelligence collective et du développement durable. Aller vers ce
scénario, le plus souhaitable, suppose d'inventer une nouvelle politique
de recherche qu'on ne peut qu'esquisser ici :

- moyens accrus pour le service public de recherche ;

- institutionnalisation de processus d'élaboration démocratique des choix
scientifiques et du budget de la recherche ;

- réforme de l'expertise publique, afin que, émancipée des lobbies
économiques, elle joue à plein une fonction de moteur de recherches allant
jusqu'au fondamental ;

- formation des étudiants des filières scientifiques aux enjeux sociétaux
et environnementaux des diverses trajectoires de recherche et d'innovation
;

- création au niveau national et des conseils régionaux, à l'exemple de
l'expérience canadienne, de fonds d'incitation pour les recherches menées
en partenariat entre laboratoires publics et organisations à but non
lucratif (et cela à même hauteur que les multiples financements publics,
peu efficaces, visant à inciter à la recherche privée et aux partenariats
entre laboratoire publics et entreprises privées) ;

- abandon du paradigme diffusionniste de la " culture scientifique " en
faveur de politiques de citoyenneté scientifique ;

- régime juridique adapté aux savoirs, car il est contre-productif de
corseter ces biens qui se multiplient en se partageant : libre accès aux
publications scientifiques, outils alternatifs au brevet type " copyleft
".

(1) Ces maladies sont : tuberculose, paludisme résistant à la chloroquine,
leishmaniose viscérale, filariose lymphatique, maladie de Chagas et
schistosomiase.

Article paru dans l'édition du 23 avril 2004.

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"Choix technologiques, choix de société"
Richard Sclove

aux éditions Charles Léopold Mayer
édition préparée par Christophe Bonneuil, Claudia Neubauer et Olivier
Petitjean postface de Christophe Bonneuil et Yves Sintomer
traduit de l'américain par Irène Jami

--------------------------------------------------------------------------------
  Depuis une vingtaine d'années sont apparues diverses initiatives pour
permettre aux citoyens de participer à la conduite des politiques 
technologiques, au premier rang desquelles les "conférences de consensus".

Dans "Choix technologiques, choix de société" Richard Sclove montre en
quoi des  décisions scientifiques et technologiques au c*ur de nos choix
de société, n'ont  pas fait l'objet d'un réel débat public. Il propose une
série de moyens et de  critères pour juger démocratiquement de ces choix.

Le texte original est complété par une série de courtes études, retraçant
des  exemples d'initiatives sur le continent Américain et en Europe.

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RICHARD SCLOVE a fondé en 1987 le LOKA INSTITUTE, organisation à but non 
lucratif. Il a lancé simultanément le projet d'un réseau mondial de
recherche  communautaire destiné à rendre plus accessible au grand public
les ressources  des sciences et de la recherche technologique.
Depuis 1997, il collabore avec l'office parlementaire de technologie
danois et  la commission européenne.
Democracy and technology lui a valu, en 1996, le prix Don K. Price de 
l'association américaine de sciences politique en tant que meilleur livre
de  l'année en "science, technologie et politique"





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