nicolas maleve on Tue, 7 Sep 2004 23:40:22 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] les chercheurs font l'autruche


un extrait de l'article d'Isabelle Stengers:
Les chercheurs font l'autruche
http://www.sciencescitoyennes.org/imprime.php3?id_article=595

[...]
En Europe, nous suivons vaillamment, sous l'impératif sacré de la
compétition économique, l'exemple américain. « L'intégration croissante de
la recherche et de l'innovation, et le resserrement des liens entre les
centres de recherche et l'industrie » sont devenus un devoir pour
l'Europe. On a fort peu entendu parler des nouvelles relations avec
l'industrie lorsque les chercheurs sont descendus dans la rue en France
pour « sauver la recherche », seulement des traditionnelles revendications
: postes et crédits. La plupart des protestataires auraient considéré
comme « manifestation anti-science » la demande d'une mise en débat
politique du rôle de la recherche publique. Cette demande serait d'autant
plus inquiétante qu'elle pourrait renforcer les projets gouvernementaux de
financement des programmes et non plus des laboratoires. Alors que pèsent
de tout leur poids les intérêts industriels, « sauver la recherche » rime
encore et toujours avec respecter les libres choix de chercheurs autonomes
et éclairés, l'harmonieux concert de ces choix étant censé, hors
politique, assurer l'articulation optimale entre la recherche
désintéressée et le service des intérêts stratégiques de la France dans la
guerre économique.

Quant à l'Académie des sciences, sous l'égide de laquelle s'organisent les
états généraux de la recherche, cela ne semble pas l'inquiéter le moins du
monde. Pas plus d'ailleurs que ne l'inquiètent les liens unissant à
l'innovation industrielle certains de ses membres qui ont récemment mis en
garde contre l'inscription dans des textes à valeur constitutionnelle du
principe de précaution. Les effets pervers d'une telle inscription
seraient, apprenons-nous, « susceptibles d'avoir des conséquences
désastreuses sur les progrès futurs de notre bien-être, de notre santé et
de notre environnement ».

On peut s'étonner, face à ce qui est en train d'arriver, de la
vulnérabilité qu'ont manifestée les communautés scientifiques américaines,
et qui semble ne pas devoir épargner les communautés européennes (je ne
parle pas de certains individus ou groupes très minoritaires). Les
chercheurs « savent bien », pourtant. Ils savent notamment que la prise de
brevet devient la réussite par excellence, bien plus que la manière dont
leurs collègues évalueront leur proposition. Ils savent que leurs choix de
recherche sont de plus en plus canalisés par les brevets existants,
puisque ces brevets définissent les questions pour lesquelles on ne pourra
plus prendre de brevet. Ils veulent croire, mais ne sont pas tout à fait
certains, qu'ils conservent encore le droit de ne pas tenir compte de ces
brevets existants si leurs questions sont « purement académiques ». Bref,
ce sont les alliés mêmes auxquels ils se fiaient pour respecter les
distances qui définissent l'« autonomie » des territoires de la recherche
qui sont en passe d'envahir ces territoires (du moins les plus
prometteurs) ; mais les chercheurs ne savent pas comment poser le problème
public, politique, de ce qui leur arrive.

Peut-être ne le savent-ils pas parce que tous les mots qu'ils sont
habitués à utiliser pour se présenter au public (neutralité, objectivité,
progrès) sont dirigés contre ce public, destinés à le tenir à distance, à
lui communiquer d'abord confiance et respect. L'alliance entre
l'institution scientifique, l'Etat et les pouvoirs industriels se veut
résolument apolitique, voire même suprapolitique, trop importante pour
être mise à l'aune de l'aventure démocratique. Elle demande que les «
incompétents » soient cantonnés dans la double position de spectateurs
intéressés, apprenant des sciences les bonnes réponses à leurs questions,
et de bénéficiaires satisfaits des retombées du progrès scientifique. Tous
ceux qui, comme moi, ont voulu proposer aux scientifiques d'utiliser des
mots qui n'attribuent pas à un « esprit scientifique », à une objectivité
qui serait l'apanage du « vrai » scientifique, la responsabilité de la
fiabilité des énoncés scientifiques, se sont heurtés à la même crainte :
si nous « leur » racontons la science « telle qu'elle se fait », ils
perdront confiance, et, s'ils perdent confiance, rien ne les défendra
contre l'irrationalisme.
[...]



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