agnès on Mon, 28 Nov 2005 14:15:56 +0100 (CET)


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Re: [nettime-fr] grève liberation


j'aime beaucoup cette réflexion de Jacinto Lageira, elle nous fait avancer je crois.
agnès



De l’engagement aujourd’hui
Si, depuis quelques années, nombre d’artistes chorégraphiques semblent s’attacher à l’engagement – sous de multiples acceptions –, il nous paraissait intéressant de pouvoir ouvrir cette notion à d’autres domaines artistiques… Ces dernières années, l’art contemporain a vu se cristalliser en lui tant de polémiques en Europe et aux États-Unis concernant les dépenses inconsidérées des fonds publics, l’atteinte à la morale et aux bonnes mœurs ou encore les dérives de l’énoncé « n’importe quoi peut être de l’art », que l’on ne peut que s’interroger sur son étonnante vivacité ou sa complète déréliction. Une telle levée de boucliers, inconnue de nos jours en littérature, en musique, en cinéma, en danse ou en théâtre (on n’interdit pas à tour de bras des représentations ou des projections), est-elle une réaction à la capacité subversive de l’art, que beaucoup considèrent moribonde, ou bien le dernier rempart contre la destruction d’une supposée essence de l’art? Sans doute, ce dernier vocable ne recouvre pas l’ensemble de la production. Comme on l’a maintes fois remarqué, le terme “ art ”, qui s’applique aussi bien à la danse qu’à la littérature, par exemple, a fini par désigner les seuls arts plastiques dans les débats actuels. Mais intéressons- nous plutôt à un phénomène qui ne relève pas nécessairement de la subversion ni ne verse dans un retour à l’ordre artistique, à savoir l’engagement. Cette vénérable notion convient-elle d’ailleurs aux productions plastiques contemporaines, lesquelles ne seraient pour certains que l’aboutissement logique de la tendance imprécise et diffuse du post-modernisme des années 1980, puis des superbes enthousiasmes non moins diffus des années 1990. Deux décennies qui n’ont manqué ni de prises de position, d’attaques ou de vindictes de la part des plasticiens à l’encontre du « système » ou des questions socio-politiques, mais non pensées en termes d’« engagement », mot que l’on trouve d’ailleurs rarement sous la plume des critiques et des historiens d’art ou des artistes. Durant les années 1960 et 1970, l’idée d’un « art engagé » était plus courante, presque obligatoire, et Joseph Beuys fut son prophète. Mais à force de l’ajointer aux questions socio-politiques, et aussi parce qu’il est historiquement lié, par une perversion du réalisme socialiste, à un art asservi par l’idéologie, l’engagement n’a plus aujourd’hui bonne presse. Pourtant, dès 1948, dans «Qu’est-ce que la littérature?», Sartre avait vigoureusement critiqué tant ceux qui voulaient politiser l’art que ceux qui se cantonnaient à l’esthétisme ou au formalisme. Voulant dépasser la plate opposition du fond et de la forme, l’engagement de l’artiste était pour lui « en situation », de même que l’œuvre ou le public à qui elle s’adressait étaient eux aussi « en situation ». Plus que d’appartenir à l’époque, être en situation signifiait l’ouverture dans l’œuvre de la liberté que les hommes se choisissent, laquelle n’est assignable à aucune période. Cette dimension a le mérite d’insister sur le sens de l’humain._Ainsi entendu, l’engagement de l’artiste ne serait pas réductible à la simple critique sociale et politique, à une critique pour les « minorités » sexuelles ou culturelles, ou contre la religion, telle qu’on peut la trouver, parmi tant d’autres, chez Hans Haacke, Mike Kelley, Paul Mc Carthy, Denis Adams, Robert Mapplethorpe, Jenny Holzer, Andres Serrano ou Maurizio Cattelan. De ces deux derniers, l’on peut citer respectivement une photographie intitulée «Piss Christ» (montrant un jet d’urine sur un crucifix) et une sculpture grandeur nature de Jean- Paul II, représenté au sol, écrasé par un immense rocher. Lorsque Nan Goldin montre ses photographies de prostitués hommes et femmes, de drogués, de travestis, de transsexuels, ou lorsque Damian Hirst présente un veau coupé longitudinalement et enserré dans des blocs de verre, n’y déceler que pure provocation ou quête de subversion – le plus souvent illusoire, dans la mesure où l’Institution gère ce genre d’œuvres du début à la fin –, c’est voir l’engagement par le petit bout de la lorgnette. D’autant que l’engagement n’est pas toujours frontal et s’inscrit très souvent dans des formes et des processus de fiction (Jeff Wall, Stan Douglas, Claude Lévêque), celle-ci étant plus à même de critiquer le réel que tout art dit réaliste.
Si l’engagement véritable consiste à s’interroger sur le sens de l’humain, à savoir non seulement à propos d’une œuvre particulière, close sur elle-même, comme si elle n’était qu’une belle apparence située hors du temps et de l’espace, mais à propos de la situation générique qu’elle peut engendrer, alors il faut se demander : qu’est- ce que toute cette situation-là veut dire ? Quel sens politique, social, éthique cela a-t-il pour nous? Car l’engagement de l’artiste ne doit pas se limiter au petit milieu de l’art où quelques élus font la pluie et le beau temps, mais se confronter à l’espace public qui, même lorsqu’il refuse ou rejette l’art actuel, s’engage à son tour dans une situation où il n’y a pas de transcendance ou de loi suprême qui tienne, et dans laquelle les hommes sont seuls à décider de la valeur et du sens qu’ils veulent donner au monde.
Veut-on s’engager pour le changer ?





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