gilbert.quelennec on Sun, 20 Aug 2006 15:36:19 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] Les gribouilles de la culture Par Jean-Baptiste BARRIÈRE


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Rebonds

Pour les politiques, ce qui est «populaire» se résume à ce qui est électoralement rentable.
Les gribouilles de la culture
Par Jean-Baptiste BARRIÈRE
LIBÉRATION : Mardi 15 août 2006 - 06:00
Jean-Baptiste Barrière compositeur, artiste multimédia.
On a pu voir récemment des hommes et femmes politiques de tout bor s'afficher au Festival d'Avignon. Pourtant, la culture n'est plus un enje important pour les politiques. On cherche désespérément dans le programmes les engagements la concernant. Est-ce à dire que tout va pou le mieux dans ce domaine ? Il suffit, pour se convaincre du contraire, d considérer le statut des intermittents qui ne représente que la parti visible de la question toujours non résolue des statuts de l'art et de l'artist dans notre société; ou encore d'envisager la situation de l'enseignemen artistique dans les écoles. Ou enfin d'explorer l'état des institution culturelles, et notamment de constater, en plus des baisses budgétaire régulières, qu'on ne peut plus créer d'institutions dans ce pays, sinon pou le patrimoine, plutôt que pour la recherche et la création, donc tournée vers le passé plutôt que vers le futur
Cela fait trop longtemps que les politiques, et notamment la gauche, semblent avoir abandonné toute réelle ambition culturelle. Comme le revendiquent ouvertement certains socialistes, la culture doit être populaire et non élitiste. On sait par exemple combien Laurent Fabius a ressenti le besoin de faire savoir qu'il prenait plaisir à la Star Academy, plutôt que de faire partager son éventuelle découverte d'un artiste ou écrivain important, probablement moins électoralement «sexy». «Populaire», en langage politique, cela veut dire électoralement rentable. Donc surtout qui ne dérange pas : sans risque.
L'administration de la culture dans ce pays s'est transformée progressivement en comité des fêtes. Il n'y a plus guère que de cette manière que la culture intéresse les édiles. Pour eux, la culture n'est qu'un instrument à leurs fins, pas une fin en soi. Si elle n'est pas populaire, c'est donc qu'elle est élitiste, et par conséquent dangereuse en termes de marketing politique. Syllogisme absurde, clivage artificiel qui nie la complexité de la production culturelle et artistique. Où sont les nobles ambitions pédagogiques et culturelles qui devraient caractériser toute politique digne de ce nom ?
La plupart des politiques considèrent aujourd'hui qu'il faut prendre les gens dans le sens du poil de la consommation culturelle : leur donner ce que prétendument ils attendent, ne pas les déranger, encore moins les surprendre ou les déstabiliser. Ce n'est pas le moindre paradoxe que ce soit la gauche qui ait, en son temps, légitimé le concept d'industrie culturelle, boîte de Pandore d'une culture condamnée, comme par fatalité, à devenir commerciale ou à disparaître. D'où la soumission sans réserves aux prétendues lois du marché, paresse intellectuelle aussi bien qu'idéologique, défaite d'une pensée politique qui renonce à assumer l'autonomie de l'art, comme à changer la société.
A l'ère de l'audimat, il faut du flux, du vite fait, vite consommé, rien qui pose trop de questions, sur soi-même comme sur le monde. Ce statu quo culturel, qui impose «toujours plus de la même chose», procédant d'émotions galvaudées par la répétition ad nauseam, n'est-ce pas le pire des conservatismes ?
C'est au nom de cette logique que France 2 peut se trouver fondée à rivaliser de médiocrité et de vulgarité avec TF1, et que les politiques culturelles télévisuelles publiques depuis tant d'années s'épuisent littéralement en sous-enchère. Toujours moins d'idées, de sens, de sentiments nouveaux. Peut-on se satisfaire d'une situation où le nec plus ultra culturel est représenté par la diffusion d'oeuvres du répertoire, en fin de soirée, les nuits d'été ? Où la création n'apparaît que comme une aberration de la programmation, bonne à remplir les trous de la grille ? On rit jaune en pensant au «mieux-disant culturel», cet oxymoron, qui devait présider au choix des opérateurs télévisuels, lors de la privatisation de TF1.
Une politique culturelle populaire pourrait consister, par exemple, à prendre enfin le courage d'un geste aussi simple que diffuser en prime-time, sur les chaînes publiques, tout au long de l'année, les spectacles d'Avignon, d'Aix, et de tant d'autres festivals. Ce serait relayer les productions remarquables de la Comédie-Française, des opéras de Paris, de Lyon, de Caen ou de Lille, ainsi que des scènes nationales, des théâtres et salles de concerts subventionnés, en prenant soin d'articuler répertoire et création. Faire ainsi que la culture vivante envahisse vraiment la cité, au moyen du média le plus populaire, le plus pénétrant, celui qui va là où aucune compagnie de théâtre, de danse ou d'orchestre ne peut jamais aller : chez les gens mêmes.
Cela consisterait à élaborer des synergies, par exemple entre l'INA, la BNF et les chaînes publiques, en prenant comme matériaux tout ce patrimoine du spectacle vivant, toutes ces oeuvres qui constituent les résultats tangibles des efforts artistiques accomplis avec le soutien de l'Etat, afin que tout ce que celui-ci aide à produire puisse être montré et rendu disponible au plus grand nombre.
Tel serait un objectif véritablement populaire, bien plus que ces politiques clientélistes et électoralistes procédant du principe de l'arrosage systématique, évitant soigneusement, en distribuant un peu à tout le monde, de prendre la responsabilité du choix d'une politique, de rendre tangible une vision. A quoi sert d'aider à produire toutes ces oeuvres, si on ne les diffuse pas, si on ne les défend pas, avec tous les outils médiatiques à disposition ? L'urgence populaire, c'est de rendre accessible gratuitement à tout le monde, par exemple dans les écoles, les bibliothèques et médiathèques, l'ensemble de ces productions (et des documentations qui les accompagnent), autant de traces sédimentées constituant, année après année, notre patrimoine culturel, au lieu de le laisser emporter par le vent de la bêtise dans un gigantesque gâchis.
L'enjeu n'est rien de moins que de modifier en profondeur les habitudes culturelles, d'installer dès le plus jeune âge, pour tous, l'habitude de la fréquentation de l'art, de créer des désirs d'art, qui se prolongent dans des pratiques artistiques, et constituent, tout au long de la vie, un va-et-vient, un cercle vertueux entre production et réception. Il y a tellement de productions passionnantes, partout en France, qui demeurent inaccessibles. Ce n'est pas une fatalité. Juste l'effet d'une démission collective, incompréhensible, inacceptable.
Voilà un véritable enjeu populaire en matière de culture. Qu'en cette année électorale qui commence, les politiques prennent leurs responsabilités et nous fassent enfin des promesses un peu conséquentes, qu'ils nous surprennent. Après tout, ils ne courent aucun risque : on sait bien que les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. Alors, mesdames et messieurs les politiques, encore un effort pour être culturellement révolutionnaires !




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