Louise Desrenards on Fri, 19 Jan 2007 17:07:24 +0100 (CET)


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[nettime-fr] Silence sur Gaza


Merci de bien vouloir lire ce texte récent de l'éminent universitaire
israélien qui Ilan Pappe, parle sans qu'il puisse lui être imputé
d'islamisme du climat actuel en Palestine ce qui bien sûr ne troublera
nullement la politique du lobbie en égale répartition dans les deux forces
"démocratiques" majeures se disant en compétition tant aux Etats-Unis qu'en
France... 

La source ici : 
http://www.alencontre.org/Palestine/PapePalestine01_07.htm
                   

Palestine

 
    

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L¹an 2007 : génocide à Gaza,
nettoyage ethnique en Cisjordanie

Ilan Pappe *

Il n'y a pas si longtemps, sur ce même podium, je déclarais qu'Israël était
en train de mener une politique génocidaire dans la bande de Gaza. J'ai
beaucoup hésité avant d'utiliser ce terme très chargé, accusateur, mais j'ai
néanmoins décidé de l'adopter. D'ailleurs, les réactions que j'ai suscitées,
y compris de la part de certains groupes ­ parmi les plus importants ­ de
militant.e.s pour la défense des droits humains, montraient un certain
malaise quant à mon utilisation de ce terme. Durant un certain temps, j'ai
réfléchi à ce type de formule, mais j¹ai recommencé à l¹utiliser aujourd'hui
avec une conviction renforcée: c'est la seule manière appropriée de décrire
ce qu'est en train de faire l'armée israélienne dans la bande de Gaza.

Le 28 décembre 2006, B'Tselem, l'organisation israélienne de défense des
droits humains, a publié son rapport ayant trait aux atrocités israéliennes
dans les territoires occupés. Au cours de cette dernière année, les forces
israéliennes ont tué 660 citoyens. Le nombre de Palestiniens tués par Israël
l'année dernière a donc triplé par rapport à l'année précédente (environ
200). Selon B'Tselem, les Israéliens ont tué 141 enfants durant l'année
dernière. La plupart des morts l¹ont été dans la bande de Gaza, où les
forces israéliennes ont démoli presque 300 maisons et ont massacré des
familles entières. Cela signifie que, depuis l¹an 2000, les forces
israéliennes ont tué presque 4000 Palestiniens, dont la moitié étaient des
enfants, et ont blessé plus de 20'000  personnes.

B'Tselem est une organisation précautionneuse. Il est donc possible que les
chiffres soient plus élevés. Cependant il ne s'agit pas uniquement d'une
escalade des meurtres intentionnels. Il s¹agit ici d¹une tendance et d'une
stratégie.

En ce début 2007, les décideurs israéliens font face à deux situations très
différentes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Dans le premier cas,
ils sont plus près que jamais d'achever la construction de leur frontière
orientale. Leur débat idéologique interne est terminé à ce propos. Leur plan
directeur visant l'annexion de la moitié de la rive occidentale est en voie
d'être exécuté avec une rapidité croissante. La dernière phase a été
retardée en raison des promesses faites par Israël, dans le cadre de la
Feuille de route, de ne pas construire de nouvelles colonies.

Israël a trouvé deux façons de contourner cette prétendue interdiction. Tout
d¹abord, l¹Etat israélien a fixé qu¹un tiers de la rive occidentale faisait
partie du Grand Jérusalem. Cela lui a permis de construire sur ce territoire
nouvellement annexé des villes et des centres communautaires. Ensuite, il a
agrandi les anciennes colonies à un point tel qu'il n'était pas nécessaire
d'en construire de nouvelles. Ce processus a encore connu une nouvelle
impulsion en 2006: des centaines de caravanes ont été installées afin de
marquer la frontière de l¹expansion territoriale; des plans d¹aménagement
pour les nouvelles villes et quartiers ont été finalisés; et les routes et
autoroutes de contournement à grande circulation, renvoyant à un système
d¹apartheid, ont été achevées.

Au total, les colonies, les bases militaires, les routes et le mur
permettront à l¹Etat d¹Israël d'annexer presque la moitié de la Cisjordanie
jusqu¹à 2010. A l'intérieur de ces territoires se trouvera un nombre
considérable de Palestiniens, contre lesquels les autorités israéliennes
continueront à mener une politique de transfert lent et rampant. Ce sujet
semble trop ennuyeux pour que les médias occidentaux soient dérangés, et
trop vague pour que les organisations de défense des droits humains le
considèrent comme un thème important. Il n'y a pas d'urgence: les Israéliens
savent que la situation est sous contrôle. Les mécanismes conjoints de
l'armée et de la bureaucratie, avec leur lot d'abus et de déshumanisation,
apportent leur propre contribution à ce processus de dépossession,
d¹expropriation.

La pensée stratégique d'Ariel Sharon selon laquelle cette politique est bien
meilleure que celle prônée par les partisans du transfert ou du nettoyage
ethnique, tels qu'Avigdor Lieberman [dirigeant du parti d¹extrême droite
Israël Beitenou ­ Notre Maison Israël ­, a intégré le gouvernement Olmert de
coalition en novembre 2006], est acceptée par tout le gouvernement, depuis
les travaillistes jusqu'au Kadima [parti créé par Ariel Sharon en novembre
2005]. Les petits crimes du terrorisme d'Etat sont de même efficaces dans la
mesure où ils permettent aux sionistes libéraux [«à gauche» dans le sens
américain du terme], partout dans le monde, de condamner mollement Israël,
tout en qualifiant toute véritable critique de la politique criminelle
d'Israël comme relevant de l'antisémitisme.

De plus, il n'existe pas encore de stratégie israélienne claire en ce qui
concerne la bande de Gaza, même si des expériences quotidiennes sont
conduites dans une perspective stratégique. Aux yeux des Israéliens, Gaza
est une entité géopolitique tout à fait différente de la Cisjordanie. Le
Hamas contrôle Gaza, alors qu'Abou Mazen [dirigeant du Fatah, de son vrai
nom Mahmoud Abbas, président de l¹Autorité palestinienne] semble gérer la
Cisjordanie fragmentée avec la bénédiction des Israéliens et des Américains.
Il n'y a aucun bout de terrain à Gaza qui soit convoité par Israël, et il
n'y a aucun arrière-pays, comme la Jordanie, vers lequel on peut expulser
les Palestiniens de Gaza. Le nettoyage ethnique n'y est donc pas efficace.

Auparavant, la stratégie à Gaza consistait à y enfermer les Palestiniens
dans des ghettos, mais cela ne marche pas. La communauté ghettoïsée continue
à exprimer sa volonté de vivre en tirant des roquettes dites Qassem sur
Israël. Le fait de ghettoïser ou de mettre en quarantaine des communautés
que l¹on rejette, même si elles sont considérées comme sous-humaines ou
dangereuses, n'a jamais été une solution dans l'histoire. Les Juifs le
savent bien, à partir de leur propre histoire. Par le passé, les étapes
suivantes contre de telles communautés étaient encore plus horribles et
barbares. Il est difficile de prévoir ce que l'avenir réserve à la
population de Gaza, ghettoisée, mise en quarantaine, indésirable et
démonisée. Y aura-t-il une répétition des sinistres exemples historiques ou
un destin meilleur est-il encore possible?

Selon John Dugard, rapporteur spécial aux Nations unies, cette manière de
créer une prison avant d'en jeter la clé à la mer a été une option contre
laquelle les Palestiniens de Gaza ont réagi avec vigueur dès septembre 2005.
Ils étaient déterminés à montrer qu'au minimum ils faisaient toujours encore
partie de la Cisjordanie et de la Palestine. Ce mois-là, ils ont effectué un
premier ­ en nombre sinon en qualité ­ lancement significatif de missiles en
direction du Negev occidental. Les tirs étaient une réponse à une campagne
israélienne d'arrestations massives de militants du Hamas et du Jihad
islamique dans la région de Tulkarem.

Les Israéliens ont riposté avec l'opération «Première pluie». Il vaut la
peine de se pencher un moment sur la nature de cette opération. Elle était
inspirée par les mesures punitives qui ont été infligées d'abord par les
pouvoirs des puissances coloniales et, par la suite, par les dictatures,
contre des communautés rebelles emprisonnées ou bannies.

Une démonstration effrayante de la capacité d'intimidation de l'oppresseur
précédait toutes sortes de punitions collectives et brutales, aboutissant
parmi les victimes à un nombre élevé de morts et de blessés. Ainsi, au cours
de l'opération «Première pluie», des avions supersoniques ont survolé Gaza
pour terroriser l'ensemble de la population. Ils furent suivis de
bombardements massifs de vastes régions depuis la mer, l'air et la terre.
L'armée israélienne expliquait que la logique était de créer une pression
afin d¹affaiblir le soutien de la communauté de Gaza aux lanceurs de
roquettes.

Comme prévu également par les Israéliens, l'opération n'a fait que renforcer
le soutien aux lanceurs de roquettes, et a donné une impulsion à leurs
futures tentatives. L'objectif réel de cette opération particulière était
d¹ordre expérimental. Les généraux israéliens voulaient savoir comment de
telles opérations seraient reçues chez eux, dans la région et dans le monde.
Et il semble que la réponse a immédiatement été: «très bien», si l'on en
juge par le fait que personne ne s'est intéressé aux dizaines de morts et
aux centaines de blessés palestiniens provoqués par l'opération «Première
pluie».

Dès lors, la barre a été placée toujours plus haut. Les Palestiniens
subirent un bain de sang lors des tirs contre le quartier résidentiel de
Beit Hanoun, au nord de la bande de Gaza, qui ont tué au moins 18 personnes
le 8 novembre 2006.

Ainsi, depuis «Première Pluie» et jusqu'en juin 2006, toutes les opérations
suivantes se sont déroulées selon le même schéma. La différence résidait
dans leur degré d¹escalade: puissance de feu accrue, davantage de victimes
et de dégâts collatéraux, et, comme cela pouvait se prévoir, davantage de
roquettes Qassem tirées en guise de riposte. En 2006, les mesures qui
accompagnaient ces opérations relevaient de moyens plus sinistres visant à
assurer l'emprisonnement total de la population de Gaza à travers le boycott
et les divers blocus, auxquels l¹Union européenne apporte encore son soutien
honteux.

La capture du soldat Gilad Shalit en juin 2006 n'a pas de lien avec ce plan
d¹ensemble. Elle a néanmoins offert une occasion aux Israéliens pour
intensifier encore plus la dimension stratégique des missions dites
tactiques et prétendument punitives. Après tout, il n'y avait encore aucune
stratégie établie suite à la décision tactique d'Ariel Sharon de retirer de
Gaza 8000 colons dont la présence compliquait les missions «punitives» et
dont «l¹expulsion» a presque fait de lui un candidat au Prix Nobel de la
paix. Depuis lors, les actions «punitives» se sont poursuivies et sont
devenues elles-mêmes une stratégie.

L'armée israélienne aime le drame. Elle a donc pratiqué aussi l'escalade au
plan du langage. C'est ainsi que «Première Pluie» a été remplacée par
«Pluies d'été», nom générique donné aux opérations «punitives» depuis juin
2006 (dans un pays où il n'y a pas de pluie en été, et où les seules
précipitations sont les déluges de bombes larguées par des F-16 et des obus
d'artillerie qui frappent la population de Gaza).

Les opérations «Pluies d'été» ont apporté un nouvel élément: l'invasion
terrestre de certaines parties de la Bande de Gaza. Cela permettait à
l'armée israélienne de tuer des citoyens encore plus efficacement, et de le
présenter comme étant le résultat de lourds combats dans des régions
densément peuplées, c¹est-à-dire une conséquence inévitable liée aux
circonstances et non pas le résultat de la politique israélienne.

A la fin de l'été est arrivée l'opération «Nuages d'automne», qui était
encore plus efficace: le 1er novembre 2006, en moins de 48 heures, les
Israéliens ont tué 70 civils; à la fin du mois, avec des mini-opérations
supplémentaires, il y avait presque 200 tués, dont la moitié étaient des
femmes et des enfants. Comme on peut le constater en observant les dates,
une partie de cette activité se développait parallèlement aux attaques
israéliennes contre le Liban. Cela permettait de mener à bout plus
facilement les opérations sans attirer l'attention «extérieure», et encore
moins les critiques.

Entre «Première Pluie» et «Nuages d'Automne», tous les paramètres indiquent
une escalade. Tout d'abord, il y a la disparition de la distinction entre
cibles  civiles et non civiles: le massacre absurde a transformé l'ensemble
de la population en cible principale des opérations de l'armée. Ensuite, il
y a l'escalade dans les moyens: utilisation de toutes les machines à tuer
que possède l'armée israélienne. Enfin, l'escalade se remarque dans le
nombre de victimes: lors de chaque opération et lors des opérations qui
suivent, un nombre beaucoup plus élevé de personnes sont susceptibles d'être
tuées et blessées. En conclusion et surtout, les opérations deviennent une
stratégie, c¹est-à-dire la manière dont Israël a l'intention de résoudre le
problème de la bande de Gaza.

Un transfert rampant en Cisjordanie et une politique de génocide mesurée
dans la bande de Gaza : voilà les deux stratégies utilisées actuellement par
Israël. D'un point de vue électoral, celle déployée à Gaza est
problématique, puisqu'elle ne donne pas de résultats tangibles. La
Cisjordanie sous Abou Mazen est en train de céder sous la pression
israélienne, et aucune force significative n'arrête la stratégie d'annexion
et de dépossession. Mais Gaza continue à riposter. D'un côté, cette riposte
pourrait permettre à l'armée israélienne de lancer des opérations
génocidaires encore plus massives à l'avenir. Mais il y a aussi aussi un
grave danger que, comme cela s'est passé en 1948, l'armée israélienne
elle-même exige des actions «punitives» plus drastiques et systématiques et
des actions collatérales contre la population assiégée de la bande de Gaza.

Ironiquement, la machine à tuer israélienne s'est reposée dernièrement. Même
le lancement d'un nombre relativement élevé de roquettes Qassem, y compris
une ou deux assez meurtrière, n'a pas réussi à susciter une action de la
part de l'armée. Selon le porte-parole de cette dernière, ce manque de
réaction démontrerait une «retenue». Toutefois, cela n'a jamais été le cas
par le passé, et il est peu probable que cela le devienne à l'avenir.
L'armée se repose, car ses généraux se contentent de laisser la tuerie
interne qui fait rage à Gaza faire le boulot à leur place. Ils observent
avec satisfaction la guerre civile émergeante à Gaza, fomentée et encouragée
par Israël. Du point de vue d'Israël, peu importe la façon dont la
population diminue à Gaza, que ce soit par des tueries internes ou des
tueries israéliennes.

La responsabilité de mettre un terme aux luttes internes incombe évidemment
aux groupes palestiniens eux-mêmes. Mais les interventions des Américains et
des Israéliens, les emprisonnements, la famine et l'étranglement de Gaza
sont tous des facteurs qui rendent très difficile un processus de paix
interne. Mais cela arrivera bientôt, et alors, aux premiers signes
d'apaisement, les «Pluies d'été» israéliennes se mettront à nouveau à tomber
sur la population de Gaza, entraînant dégâts et mort.

On ne devrait jamais se lasser de souligner les conclusions politiques de
cette sombre réalité de l'année 2006 qui s'est achevée et de celle qui nous
attend. Il n'y a toujours pas d¹autre moyen d'arrêter Israël que le boycott,
les désinvestissements et des sanctions. Nous devrions tous les soutenir
clairement, ouvertement, inconditionnellement, en dépit de ce que nous
racontent les gourous de notre monde concernant l'efficience ou la raison
d'être de telles actions.

Les Nations unies n'interviendront pas à Gaza comme elles le font en
Afrique; les lauréats du Prix Nobel de la paix ne s'engageront pas pour sa
défense comme ils le font pour des causes en Asie du Sud-Est. Le nombre de
personnes tuées là n'est pas aussi stupéfiant que dans d'autres calamités.
Et l'histoire n'est pas nouvelle; elle est même dangereusement vieille et
troublante. Le seul point vulnérable dans cette machine à tuer réside dans
l¹oxygène amené par les conduits de la «civilisation» occidentale et de
l'opinion publique. Il est encore possible de les perforer et de faire en
sorte qu¹il soit plus compliqué pour les Israéliens de réaliser leur future
stratégie d'élimination de la population palestinienne soit par le nettoyage
ethnique en Cisjordanie, soit par le génocide dans la bande de Gaza.
(Traduction «A l¹encontre»)

* Ilan Pappe est maître de conférences au Département de Science politique
de l'Université de haifa et Président de l'Institut Emil Touma pour les
études palestiniennes à Haifa (Emil Touma était un historien et un
intellectuel arabe réputé). Ilan Pappe a publié entre autres: La guerre de
1948 en Palestine: aux origines du conflit israélo-arabe, rééd. en livre de
poche 10/18 (publié en 2000 aux Ed. La Fabrique), Une guerre pour deux
peuples. Histoire de la Palestine moderne, Fayard 2004, Les démons de la
Naqbah. Les libertés fondamentales dans l¹université israélienne, Ed. La
Fabrique, 2004. Le texte en anglais a été publié par The Electronic Intifada
le 11 janvier 2007.




 
 
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