clemos on Wed, 9 Apr 2008 14:45:20 +0200 (CEST)


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Re: [nettime-fr] potentiel esthétique IPv6


Bonjour

2008/4/9 Luc Dall'Armellina <lucdall@gmail.com>:
> Bonjour à tous et à chacun,
>
>  Comment expliquer ce mot d'Ingres disant à propos de la photographie
>  naissante : "La photographie, c'est mieux qu'un dessin, mais il ne faut pas
> le dire" ?
>  On ne sait pas en fait si c'est mieux ou pas. Le fait est que c'est
> différent,
>  que le fait d'avoir un boîtier dans les mains, qu'il possède une visée ou
> non,
>  change le regard : à la fois du photographe et de son sujet. Le fait qu'il
> se produit un
>  temps opaque d'invisibilités entre le cliché et la révélation entre dans la
>  constitution de l'esthétique photographique argentique.
>  La photographie propose du monde une autre esthétique que la peinture, non
> pas "simplement"
>  parce qu'elle est technique, mais sans doute parce qu'à travers le
> dispositif technique la relation
>  de l'artiste et de son sujet est profondément transformée.
>
>  Je pense que chaque technologie est non seulement un mode opératoire
>  (il s'agit de faire des choses) mais une sorte de script d'actions
> portant/étant
>  issu de telle culture, organisant telle vision du monde. On a coutume de
> dire qu'aux
>  débuts du cinéma, l'héroïne ne changeait pas de vêtements pendant tout le
> film
>  parce qu'avait peur de ne plus la reconnaître. On mesure que l'esthétique
> qui est
>  née, à la fois de la technique cinéma mais aussi de son régime de
> croyances,
>  est motivée et irremplaçable.

Ce que je récuse, c'est le dithyrambe approbateur dans lequel se
complait souvent la pensée autour des technologies actuelles,
l'amalgame béat qui est fait entre progrès technologique et "conquêtes
sociales", la nouvelle "esthétique" qu'on nous propose se chargeant
souvent d'en mettre en scène les multiples et incontestables délices.
La technologie, à la lecture des ces textes "théoriques", serait le
vecteur privilégié d'un Bien sans ombre, dont j'ai déjà rappelé les
caractéristiques les plus applaudies que sont l'horizontalité,
l'indifférenciation ou encore l'a-centrisme, etc.
Mais cette émancipation qu'on nous promet et dont le réseau
représenterait une sorte de métaphore opérante, ne serait possible
qu'à certaines conditions régulièrement réitérées dans lesdits textes.
En dehors du fait que cet horizon égalitaire et autogéré me fait
plutôt faire des cauchemars que des rêves mouillés, il faut dire
immédiatement que la réalisation de ces conditions n'est possible que
dans une version parfaitement imaginaire du réseau, qui se trouve être
justement l'image idéale publicitaire véhiculée par les promoteurs de
l'Internet, du web 2.0 etc...
Ce réseau imaginaire, qui n'a strictement rien à voir avec l'Internet,
est d'abord, et comme de juste, immatériel. C'est un espace virtuel
qu'on peut très tranquillement penser comme strictement séparé du
Réel, comme en témoigne les dérives philosophico-lyriques de ses
prêtres. C'est bien entendu en cela, à en croire les mêmes sorciers,
qu'il peut et qu'il doit s'extraire des contraintes liées à sa réalité
véritable, parmi lesquelles son coût, qui implique nécessairement
l'investissement massif d'Etats ou d'entreprises, qui très
légitimement cherchent en retour à en récolter les bénéfices, ou à y
exercer leur contrôle.
L'oubli de cette réalité malfaisante, et de bien d'autres, ou son
camouflage, est commun aux théoriciens de la techno-émancipation d'une
part et aux artisans de l'a-lien-ation web2.0 d'autre part: on cherche
unanimement à faire croire que le réseau est effectivement un objet de
la pensée, car si il était un objet réel, il ne pourrait tout
simplement pas exister pour les premier, ou bien il se révèlerait,
derrière une façade dégoulinante de "partage", d' "amitié", de
"liberté d'expression", un cauchemar de contrôle et de transparence
pour les seconds. En d'autres termes, les techno-libérateurs veulent
non seulement continuer à croire aux mensonges des inventeurs du web
2.0, mais en plus ils ne cessent de louer les funestes conséquences de
l'horizontalité que le web 2.0 a d'ores et déjà mis en place:
sélection et hiérarchisation par popularité (Google), censure par
consensus mise à la portée de chacun ("signaler un contenu
inapproprié"),  transgressions multiples des règles encadrant la
liberté d'expression (usurpation d'identité, diffamation, etc...),
validation de mensonges "a priori" ou par acceptation majoritaire, etc
etc.
Quelles "formes de légitimité" alternatives à celles-ci peut-on
attendre d'un tel système qui singe la démocratie pour appliquer la
dictature de la majorité ?
Et ça n'est encore qu'un avant goût des merveilles à venir, puisque
comme le dénoncent en boucle les friend-citoyens du futur, les
responsables de sites web 2.0 réussissent malgré tout à contenir une
partie de cette barbarie anarchisante de la pensée en appliquant
cahin-caha leur "charte", c'est à dire en "censurant". Qu'en sera-t-il
lorsque la sauvagerie intellectuelle de masse qu'on observe pourra se
déchainer, s'amplifier sans aucune entrave, se déverser en autant de
"flux" ?

>  Alors en matière de réseaux ?
>  Je viens de terminer une recherche de deux ans commandée par le CNRS
> (2005-2007) sur les liens qui existent
>  entre les artistes de Net-Art, leurs oeuvres-dispositifs et leur(s)
> public(s).
>  Il en ressort que les lignes de force composant le web 2 (personnalisation
> des espaces, logique
>  de flux, données dynamiques, réseaux sociaux) étaient déjà perceptibles
> dans quelques-uns des 12 dispositifs
>  de l'étude et parfois mis en oeuvre à l'aide de moyens non numériques :
>  (je pense ici au pique nique de N. Frespech qui précède et où s'originent
> "Les secrets").
>  Ici les artistes inventent des protocoles techniques nouveaux (le TRML pour
> le collectif Téléférique dans le projet Reader)
>  Là ils anticipent le web 2.0 (Adam Project de Timothée Rolin)
>  Ici ils usent de la performance pour mettre en scène les changements liés à
> nos nouvelles relations Internet (Annie Abrahams)

Si certaines des oeuvres dont vous parlez "anticipent le web 2.0", ça
n'est pas pour en applaudir placidement l'avènement, et si elles
"mettent en scène les changements liés à nos nouvelles relations
Internet", ça n'est pas non plus pour en chanter les vertus et la
positivité.
Parfois en dépit même des points de vues que peuvent partager leurs
auteurs, ces oeuvres donnent à voir les bienfaits autant que les
limites ou les dérives, en somme elles sont encrées dans la réalité du
réseau et en elles s'exprime toute son ambivalence, son ambigüité, ses
dangers, ses aberrations.

>  Enfin, je rebondis sur l'appel de Clémos à une "économie du lien" pour
> proposer ces quelques éléments d'une "écologie du lien" :

Je crois que c'est Olivier Auber qui a parlé de cette "économie du lien".

>  Lorsqu'on voit de quelle avance conceptuelle (±40 ans ?), Paul Baran et son
> équipe ont fait preuve en 1963 lorsqu'ils ont proposé leurs topologie des
> réseaux, qui allait devenir le socle cartographique et relationnel de TCP/IP
> et l'est encore aujourd'hui, on est saisi par cette créativité hors du
> commun. Et c'est bien avoir non seulement une idée technique, mais aussi une
> représentation particulière du lien (social et politique) que de faire cette
> topologie au moment où ils la font (peu avant 68). Leur proposition
> d'organisation possède/induit des valeurs/conséquences esthétiques et
> politiques par la forme même des échanges que leur protocole
> contient/permet.

C'est tout à fait ce que j'essaie de dire.
Je suis seulement assez peu enclin à me réjouir desdites "conséquences
politiques" potentielles.

+++++++
clément

 
 
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