Louise Desrenards on Tue, 25 Feb 2014 19:58:43 +0100 (CET)


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[Nettime-fr] Scandale en France / sur la politique d'austérité et l'égarement de la politique de l'offre


Je ne reviendrai pas sinon à l'évoquer sur la mort d'une femme avant
hier, éventuellement d'une embolie sans doute consécutive à une
phlébite causée par une petite blessure au pied, non diagnostiquée au
terme de plusieurs heures d'attente dans un fauteuil roulant où les
infirmiers attendant un médecin l'avaient installée, aux urgences de
Cochin, débordées par la fermeture des urgences de l'Hôtel-Dieu à
Paris ; mais l'évoquer tout de même car c'est aussi rappeler le nombre
sans doute élevé de décès et autres disconvenues dont la Presse
n'entretient même plus tellement c'est devenu banal depuis quelques
années, suite à la fermeture des petits hôpitaux de province, mettant
les habitants des campagnes, (qu'ils soient agriculteurs ou y résident
plutôt qu'à proximité de leur lieu de travail pour des raisons
d'économie)... à une heure et souvent davantage des grands centres
hospitaliers. Sans compter qu'avec la réformes des cantonales et les
eurorégions potentielles, et de toutes façons dès à présent à cause de
la direction des budgets locaux par l'Europe, si ça fait comme aux USA
dans les années 1970-80, bientôt il n'y aura plus de petites routes
carrossables pour permettre de circuler ente les lieu dits, les
hameaux et les villages, or comme il n'y a plus de réseau ferré
local.... On a une idée de ce à quoi ressemblera le pays d'ici moins
de 5 ans, sauf les grandes villes et leur périphérie élargie.

Mais entrer en récession et apprendre que le plan contre est celui de
l'offre pose problème vital quand un Nobel d'économie, pourtant
libéral de sensibilité plutôt de centre gauche (concernant nos propres
catégories) mais un libéral quand même, qui défend pourtant une
théorie économique de la diversité et de la prospérité des
populations, ce qui le rend respectable entre autres raisons, s'alarme
d'avoir entendu le discours présidentiel en janvier. Parce que Paul
Krugman aime la France.

Il va falloir résolument oser voter pour une gauche de rupture, et
bouder les second tours de compromis, quelle que soient la consigne ou
la menace médiatique avancée, sonner les cloches du désastre, ou nous
sommes morts.

Suite au discours présidentiel du 14 janvier en France, ce blog de
l'auteur dans le cadre du New York Times, qui est une alerte de la
raison et pas un texte radical, avait été titré à la Une de l'édition
numérique dès qu'il avait paru, et informé dans l'édition imprimée du
17 janvier :
http://www.nytimes.com/2014/01/17/opinion/krugman-scandal-in-france.html?_r=0

Voici une traduction approximative (merci d'envoyer les corrections
s'il y a des contresens -- et ne serait-ce qu'un seul) :


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SCANDALE EN FRANCE


Je n'ai pas prêté beaucoup d'attention à François Hollande, Président
de la France, dès qu'il est devenu clair qu'il n'allait pas rompre
avec l'Europe destructrice -- l'orthodoxie politique de l'esprit
d'austérité. Sauf que maintenant il a fait quelque chose de vraiment
scandaleux.

Bien sûr, je ne suis pas en train de parler de sa prétendue liaison
avec une actrice, car même si c'est vrai,  ce ne serait ni surprenant
(hey, c'est la France), ni inquiétant. Non, ce qui est choquant, c'est
son étreinte avec des doctrines économiques discréditées de droite.
C'est un rappel que les difficultés économiques en cours en Europe ne
puissent pas être attribuées uniquement aux mauvaises idées de la
droite. Oui, impitoyables, les conservateurs aberrants ont dirigé
cette politique, mais ils ont été encouragés et autorisés par des
politiciens veules et confus de la gauche modérée.

À l'heure actuelle, l'Europe semble émerger de sa récession à double
creux et croit un peu. Mais cette légère hausse suit des années de
performance désastreuse. En quoi cela est catastrophique ? À
considérer qu'au terme de 7 ans, pendant la Grande Dépression, la
plupart de l'Europe était en train de croître rapidement, avec un PIB
réel par habitant atteignant sans discontinuer de nouveaux sommets. En
revanche, le PIB réel européen par habitant est aujourd'hui * encore
bien en dessous de son pic de 2007 -- et au mieux s'élevant lentement.

Faire pire qu'on ne l'a fait dans la Grande Dépression est,
pourrait-on dire, une réalisation remarquable. Comment les Européens
ont-ils pu faire ça ? Eh bien, dans les années 1930 la plupart des
pays européens ont finalement abandonné l'orthodoxie économique * * :
ils ont cessé d'utiliser l'étalon or -- ils ont  cessé d'essayer d'
équilibrer leurs budgets ; et certains d'entre eux ont commencé de
vastes équipements militaires qui ont eu l'effet secondaire de
stimuler l'économie. Le résultat fut une forte reprise à partir de
1933.

L'Europe moderne est un bien meilleur endroit, moralement,
politiquement et en termes humains. Un engagement commun pour la
démocratie a apporté la paix durable ; les garde-corps de la sécurité
sociale ont limité la souffrance du chômage élevé ; une action
coordonnée a permis de contenir la menace de l'effondrement financier.
Malheureusement, le succès du continent pour éviter la catastrophe a
eu l'effet secondaire de laisser les gouvernements s'accrocher à des
politiques orthodoxes. Personne n'a abandonné  l'euro, même si c'est
un carcan monétaire. En l'absence de la nécessité d'augmenter les
dépenses militaires, personne n'a rompu avec l'austérité budgétaire et
fiscale. Tout le monde fait le choix prudent, prétendument responsable
-- et la crise persiste.

Dans ce paysage déprimé et déprimant, la France n'est pas un exécutant
particulièrement mauvais. Évidemment, elle est à la traîne derrière
l'Allemagne, qui a été soutenue par son formidable secteur des
exportations. Mais la performance française a été meilleure que celle
de la plupart des autres pays européens . Et je ne parle pas seulement
des pays de la crise de la dette. La croissance française * * *  a
dépassé celle des piliers de l'orthodoxie que sont la Finlande et les
Pays-Bas.

Il est vrai que les dernières données montrent que la France ne
partage pas la hausse générale légère de l'Europe. La plupart des
observateurs, y compris le Fonds monétaire international, attribuent
cette faiblesse récente en grande partie à la politique d'austérité.
Mais maintenant que M. Hollande vient d'informer à peu près ses plans
pour changer le cours de la France, il est difficile de ne pas
ressentir un sentiment de désespoir.

Car monsieur Hollande, en annonçant son intention de réduire les
impôts sur les entreprises tout en coupant des dépenses (non
précisées) pour compenser le coût, a déclaré :  "C'est sur l'offre que
nous devons agir", et il a en outre précisé que "l'offre crée même la
demande ".

Oh, mon gars !  Cela fait écho, presque mot pour mot, à l'erreur
depuis longtemps dévoilée connue sous le nom de loi de Say * * * *  --
l'affirmation selon laquelle, il ne peut y avoir de déficits globaux
de la demande, quand il y a les choses pour que les gens y dépensent
leurs revenus. Ce n'est pas vrai, et c'est encore moins vrai en terme
pratique au début de cette année 2014. Toutes les évidences  indiquent
que la France est inondée de ressources productives, à la fois travail
et capital, qui sont assises au ralenti parce que la demande est
insuffisante. Pour preuve, il suffit de regarder l'inflation, qui
glisse vite. Ainsi, la France et l'Europe dans son ensemble deviennent
dangereusement proches de la déflation à la japonaise.

En somme, quelle est l'importance du fait que, à ce moment privilégié
entre tous, M. Hollande ait adopté cette doctrine discréditée ?

Comme je le disais, c'est un signe de la mésaventure du centre-gauche
européen. Depuis quatre ans, l'Europe a été en proie à la fièvre de
l'austérité, avec des résultats désastreux pour la plupart, on dit que
la légère reprise actuelle est saluée comme s'il s'agissait d'un
triomphe politique. Compte tenu de la difficulté que ces politiques
ont infligée, on aurait pu attendre que des politiciens de centre
gauche soutiennent vigoureusement un changement de cap. Pourtant,
partout en Europe, le centre-gauche a au mieux (par exemple, en
Grande-Bretagne) offert une faible critique, sans enthousiasme, et
souvent tout simplement grincé des dents en se soumettant.

Quand M. Hollande est devenu le leader de l'économie de second rang de
l'euro, certains d'entre nous espéraient qu'il pourrait prendre
position. Au lieu de cela, il est tombé dans le mouvement de recul
habituel -- un mouvement de recul qui s'est transformé en effondrement
intellectuel. Et la deuxième dépression de l'Europe ne s'arrête pas
là.

Paul Krugman
http://www.krugmanonline.com/

(traduction sous réserve par Louise D. pour ses petits camarades :-)



Notes :

* Voir schéma sur le PIB in :
http://krugman.blogs.nytimes.com/2013/03/29/europes-second-depression-a-correction/

* *  Taux de change et reprise économique dans les années 1930 (en anglais)
http://www.jstor.org/discover/10.2307/2121887

* * * La croissance française dans les chiffres (en anglais)
http://krugman.blogs.nytimes.com/2014/01/16/france-by-the-numbers/

* * * *  Loi de Say (Jean-Baptiste Say) -- plus que très sommairement :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Say
-- Le lien correspondant donné par Krugman est un autre article
réactif à  la déclaration de Hollande, blog du 15 janvier (dès le
lendemain de la conférence de presse) de Francesco Saraceno,
économiste italien travaillant en France :
http://fsaraceno.wordpress.com/2014/01/15/jean-baptiste-hollande/
et qu'il faudrait également traduire, si quelqu'un acceptait de se
dévouer pour nous tous....



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