Zarana Papic on Fri, 23 Apr 1999 02:13:29 +0200 |
[Date Prev] [Date Next] [Thread Prev] [Thread Next] [Date Index] [Thread Index]
Syndicate: [Fwd: Serbie: A l'ouest, rien de nouveau (AIM), 14-04-99*] |
-------- Original Message -------- Subject: Serbie: A l'ouest, rien de nouveau (AIM), 14-04-99* Date: Thu, 22 Apr 1999 01:58:59 +0200 From: Le Courrier des Balkans <balkans@bok.net> To: balkans@orwell.bok.net Igor MEKINA AIM (Alternativna information mreza) Ljubljana 14 avril 1999 (Traduit par Marie-Anne Peric) A l?OUEST, RIEN DE NOUVEAU ? « Bien entendu, notre problème ne se trouve pas à Washington mais à Dedinje. Je ne sais pas pourquoi ils nous sont tombés dessus avec toutes leurs techniques de pointe alors qu?ils auraient pu en finir avec une seule et unique frappe. Ils nous envoient 400 avions et nous promettent que ça va durer longtemps, longtemps... Mais maintenant, ce n?est plus Milosevic qui est en question. Maintenant, c?est l?Etat, c?est nous. Ils n?ont pas le droit nous demander de nous séparer du Kosovo. Et nous ne nous en séparerons pas... » Voilà en gros le genre d?explications que l?on entend dans la bouche des citoyens les plus libéraux de la république de Yougoslavie depuis le début des bombardements. Le plan de l?OTAN était censé avoir un but rationnel. Les bombardements incessants de la Yougoslavie démontrent aujourd?hui qu?il était absolument insensé. PRINTEMPS A BELGRADE, 1999 « Où allez-vous ? - Chez des amis. - Des amis ? je ne savais pas qu?on pouvait avoir des amis là -bas », ricane aigrement le policier à la frontière croato-yougoslave, en nous rendant nos passeports. La route vers Belgrade ne promettait rien de bon en cette veille d?attaque des forces de l?OTAN contre la Yougoslavie. Tard dans l?après-midi, en Slovénie, on entendait le lourd grondement des avions qui quittaient la base italienne d?Aviano. Les média de Ljubljana se félicitaient du fait que l?espace aérien ait été fermé à une altitude supérieure à 6.000 mètres afin de permettre le libre passage des bombardiers vers la Yougoslavie. Les rues de Belgrade, cette nuit-là , étaient fantomatiques, vides et obscures, mais pas tout à fait désertes. Ceux qui n?étaient pas allés dans les abris (qu?ils ne l?aient pas voulu ou qu?il n?y ait pas eu d?abris, cela revient au même) se promenaient dans les rues, s?arrêtaient, serrés sous les porches des maisons. Mon ami Micha expliquait que dans les quartiers de la proche banlieue et du centre, il n?y a pas d?abris. « C?est pour cela que les gens restent chez eux ; ils préfèrent cela plutôt que de se retrouver dans des abris bricolés, répugnants, qui ne les protégeront pas des soi-disant bombes intelligentes... » Quelques uns emportent avec eux des petits sacs « d?en-cas ». Ce sont des petits sacs en plastique, ceux du marché. Un petit châle, un peu d?eau dans une petite bouteille, du linge propre... Quelque chose à manger, des bonbons, des gâteaux. Nous nous arrêtons à une petite buvette dans le quartier de Brace Jerkovic. La radio informe que l?alerte aérienne continue, que les automobilistes doivent se garer pour ne pas gêner les convois et qu?ils doivent gagner l?abri le plus proche. « Eh ! ici, les abris les plus proches sont soit occupés depuis longtemps par les Tziganes, soit depuis deux ans par les réfugiés de Krajina, quand ils n?ont pas été squattés par des pizzerias sauvages... Et voilà , il n?y a pas d?abris. Allons boire quelque chose, d?une façon ou d?une autre, ils nous tueront. » Affolé, le tenancier du petit bar dit qu?il est justement en train de fermer, de l?intérieur. Micha obtient quand même sa boisson favorite (un Coca) et les autres demandent des boissons sans alcool. L?ambiance est irréelle. Le présentateur de le télévision, d?une voix dramatique, attire l?attention sur l?agression du pacte de l?OTAN contre la Yougoslavie. Des journalistes de différents pays indiquent que 40 cibles ont été atteintes, tandis que l?Etat-major des armées yougoslaves rappelle que « les armées du Pacte de l?Atlantique nord, obéissant au diktat et aux intérêts des Etats-Unis et opérant pour le compte des séparatistes terroristes albanais, mettent brutalement en péril la vie de notre pays » Bien que les sirènes aient sonné la fin de l?alerte, les rues sont toujours noires de monde. Rares sont ceux qui ont pu dormir la première nuit. Rares sont ceux qui croient que cela ne durera qu?une nuit. C?est pourquoi ils mettent à profit la « trêve du jour » pour se lancer dans des petits débats de rues. L?état d?urgence est proclamé. Dans les bras de leur père ou de leur mère qui trébuchent sur les trottoirs, je vois des enfants qui somnolent. Mon hôte Sacha était jusqu'à tout récemment une bonne nature, ses analyses étaient toujours pertinentes et intéressantes. Il a toujours été contre Milosevic (« ...et sa clique ») ; il a réussi jusqu'à présent à échapper aux mobilisations ; il n?était pas partisan de la modification des frontières de la république après la chute de l?ancienne Yougoslavie ; il soutenait même la Bosnie unitaire ; les allusions à Seselj le mettaient hors de lui ; 100 jours durant, il a participé aux manifestations contre Milosevic, résistant avec ses concitoyens aux canons à eau dans le froid de l?hiver. Et depuis huit ans, il ne rêvait que d?une Serbie qui prendrait sa place dans le concert des nations européennes. C?est dans cette perspective qu?il avait inscrit sa fille au jardin d?enfants français, puis à des cours particuliers de français (« ... on ne sait jamais, en cas de malheur, pour le moment, ce pays ne promet pas grand-chose... »). Aujourd?hui, je le reconnais à peine. « Bien entendu, notre problème ne se trouve pas à Washington mais à Dedinje. Je ne sais pas pourquoi ils nous sont tombés dessus avec toutes leurs techniques de pointe alors qu?ils auraient pu en finir avec une seule et unique frappe. Ils nous envoient 400 avions et nous promettent que ça va durer longtemps, longtemps... Mais maintenant, ce n?est plus Milosevic qui est en question. Maintenant, c?est l?Etat, c?est nous. Ils n?ont pas le droit nous demander de nous séparer du Kosovo. Et nous ne nous en séparerons pas... » explique-t-il avec flamme au téléphone à son interlocuteur, lui qui naguère se lamentait sur les droits bafoués des Albanais du Kosovo. « Pourquoi t?étonnes-tu ? Qui parmi les Albanais se soucie encore de nous, de nos enfants ? Quand au cours des dix dernières années nous avons voulu les convaincre de participer aux élections, ils ont refusé. Et Milosevic leur a répondu. Ils l?ont pris pour cible. Il n?y avait que nous, ici à Belgrade, pour nous soucier d?universalité. De la compassion, de la pitié ? Il n?en existe pas dans le monde. Il n?y a que la sale politique. » Je lui rappelle qu?au cours de l?année 1991 à Belgrade, les salles étaient remplies de jeunes gens qui s?amusaient et dansaient pendant que l?armée yougoslave rasait Vukovar, qu?aujourd?hui, c?est le contraire, et que c?est vraisemblablement la raison pour laquelle, à l?extérieur de la Serbie, beaucoup de gens se réjouissent de voir les bombes tomber sur Belgrade. Cependant, me rappelle-t-il, nombreux étaient ceux qui, à Belgrade, reconnaissaient alors que Vukovar était une belle saloperie et qui le reconnaissent encore . Et il ajoute : « les bombardements actuels de l?OTAN sur des cibles civiles sur toute l?étendue de la Serbie et de la Yougoslavie n?ont pas à jouer le rôle du tribunal de La Haye. » « Une violation aussi sauvage de tous les traités internationaux ne convaincra pas Milosevic des avantages d?une ?démocratie à coups de bombes?. De plus, pendant tout ce temps, j?ai échappé à la mobilisation. Et qu?ont fait, disons, les Slovènes ? A la différence des Autrichiens, qui n?ont pas autorisé l?utilisation de leur espace aérien par les avions de l?OTAN, le pouvoir de Drnovsekov a autorisé le passage des bombardiers au-dessus du territoire slovène, de ces bombardiers qui vont peut-être tuer l?un des miens. Et on justifie cela par ?le souci du respect des droits humains?, le désir d?intégrer l?OTAN, l?Europe, et d?autres conneries du même genre. Et de quels droits ils parlent, quand ils ne respectent même pas le droit international ? » interroge, accusateur, l?un des premiers journalistes indépendants de Serbie. Puis il s?excuse. Ses nerfs lâchent, dit-il. « Je ne sais plus. Tout ce pour quoi je m?étais engagé dans mes articles, tout devient mensonge, tout ce qui pour moi avait de la valeur, tout ce à quoi je croyais. A l?ouest ? Du cynisme. Aujourd?hui, les Russes nous tirent du malheur. D?un côté nous avons le pire gouvernement du monde, tandis que les autres ont leur cow-boy qui a perdu le nord... » Le matin, sous les frappes, c?est à peu près la même chose. Pendant que les sirènes sonnent la fin de l?alerte, beaucoup de gens vont se coucher. Un très précieux sommeil (en paix) d?une ou deux heures. Beaucoup de gens semblent complètement épuisés. La plupart ne vont plus aux abris. Pendant la journée, les boutiques sont ouvertes (essentiellement les magasins d?Etat). La panique des premiers jours est surmontée, en particulier celle du premier matin. Beaucoup de gens étaient restés sans pain. Entre-temps, l?offre et la demande se sont à peu près équilibrés. Sauf pour les cigarettes. Vera et Ljuba, fumeurs acharnés qui pulvérisent deux ou trois paquets de Kim par jour, disent que le manque de cigarettes est le plus dur de tout, plus dur que le manque de nourriture, plus dur que la peur dans la cave. Vesna travaillait dans une prestigieuse société privée d?import-export comme traductrice d?anglais. Elle se plaignait sans arrêt de ne jamais obtenir de ses chefs un seul jour de congé, et voilà deux jours que la société a fermé et que Vesna a été licenciée. Ljuba ne s?en sort pas mieux. Il est directeur de galerie. Et qui, maintenant ou même dans un avenir plus lointain, va acheter des oeuvres d?art ? « De quoi allons-nous vivre ? » dit Vesna en veillant à ce que leur petite Nina, âgée de huit ans, ne l?entende pas. Je me promène dans le quartier de Vozdovac, et maintenant, le roi, c?est celui qui possède un vélo. La vente de carburants est suspendue et les gens ont peur de s?éloigner de chez eux en voiture. «Pour ne pas courir le risque que l?on me retienne dans un endroit désagréable, ironise un professeur de l?université, je préfère rester à la maison. Quand je pense que j?étais justement invité aux Etats-Unis. Au lieu d?aller chez eux, ce sont eux qui viennent chez nous, et sans invitation. J?ai bien l?impression qu?il me va falloir apprendre le russe sur mes vieux jours. » Je retourne à mon vagabondage dans le quartier de Vozvodac. On me dit que cette nuit, ils ont frappé, mais pour rien. «C?est vrai, il y avait du feu et de la fumée... Mais qu?est-ce que c?est que cette «intelligence » qui atteint des baraques vides ? Depuis le mois de janvier ils ont retiré les chars. A propos, est-ce que vous savez ce qui se passe en Macédoine ? » Grâce à quelques cocktails Molotov, les relations historiques entre la Serbie et la Macédoine, la Serbie et la Grèce, la Serbie et la Russie se sont resserrées. « Ils ont mis le feu aux ambassades fascistes. Ils ont lancé un cocktail Molotov sur un général français à Kumanovo, mais il a réussi à s?en tirer, dommage ! J?ai survécu au bombardement de Belgrade le 6 avril 1941, je ne pensais pas devoir encore vivre cela, » dit le chauffeur de taxi qui utilise ses dernières gouttes de « soupe » pour gagner quelques bricoles. C?est cher ? pour ce prix-là , dans le temps, j?aurais été conduit à Novi Sad, et pas à Novi Belgrade. « Soyez heureux que les ponts soient encore debout, autrement, vous seriez obligé de revenir à la nage », répond-il pour calmer mes récriminations. Il n?accepte pas mes Deutschmarks. Il dit qu?il préfère des Dinars, que ceux-ci ne se trouvent pas facilement, et qu?actuellement, les prix ne sont pas indiqués en marks dans les boutiques, comme c?était le cas pendant la pire période de l?embargo. Sacha m?attend, énervé. Il n?arrive à joindre ni sa femme, partie chez sa mère en ville, ni sa marraine, ni aucun de ses amis. Les lignes sont apparemment surchargées, non seulement les lignes intérieures et l?international, mais aussi les communications interurbaines. « Je n?arrive même pas à joindre ma voisine, » se fâche Sacha . Sa femme travaille aux Télécom et lui a justement dit hier que tous les fils avaient été « préconnectés » pour qu?ils ne parviennent pas à détruire les télécommunications au cas où l?OTAN se mettrait à attaquer les infrastructures, « parce que la plus grande partie du réseau est aux mains des Italiens. » Même le portable ne fonctionne pas. On dirait que nous sommes coupés du monde. Et soudain, enfin, le téléphone se met à sonner. C?est une parente de Londres qui appelle. J?entends Micha qui dit : « N?aie pas peur, tiens le coup là -bas, nous aurons besoin de votre force le temps que ça passe... » La télévision d?Etat annonce des pertes civiles, des dommages matériels, des manifestations dans le monde... Les spots s?enchaînent aux spots. Progressivement, on se met à utiliser la terminologie des conférences du Pentagone et du siège de l?OTAN, mais à l?inverse, on compare Clinton à Hitler, on menace Mme Albright de poursuites pour crimes de guerre. Arrive le Mufti de Belgrade qui met en garde Clinton, l?invitant à « ne pas tenter de masquer sa honte par le massacre d?innocents ». Il prévient ses « frères musulmans » que les Américains ne sont pas leurs amis : « Qu?ont -ils fait pour la Somalie, pour le Rwanda ? » On donne la parole à Peter Handke, « écrivain autrichien qui vit à Paris » : il condamne le Pape et les membres de l?OTAN surnommés « les Martiens». On montre des reportages depuis le Kremlin, la mise en garde de Elstine à Clinton, les initiatives diplomatiques d?Ivanov... Dans les milieux journalistiques comme chez les simples mortels, la grande question est de savoir si l?armée yougoslave est équipée de missiles du type ?Tatchka?, la version russe du missile Patriot, qui, d?après les avis militaires autorisés, serait encore mieux que le modèle américain, parce que ces fusées russes sont construites pour qu?en cas de panne de l?une, une autre se déclenche automatiquement. Je surprends mes hôtes au milieu d?une étrange activité. Ils ne s?occupent pas du hurlement intense de la sirène mais tracent quelque chose sur un papier avec un compas. « Nous faisons des ?cibles?, » me dit Sacha en me racontant encore les dernières nouvelles et en m?annonçant le nombre d?avions détruits par la défense aérienne yougoslave. « Et même s?il n?y en a que le tiers, on leur a montré qu?ils ne sont pas invisibles et que ce n?est pas une simulation de jeu vidéo », pense à voix haute le père de Sacha, ancien haut officier à la retraite de l?armée de l?ancienne Yougoslavie. Pour l?instant, il n?y a ni eau ni électricité. La petite Ana se plaint qu?il n?y ait rien de bien à la télé. « Ils passent leur temps à parler. Je vais écrire à la télé que je veux des dessins animés. » Elle dessine un avion. Elle a vite appris la différence entre les avions civils et les bombardiers. Je sors 'Diplomatie' de Henry Kissinger. C?est très instructif. Notamment sur la façon dont Chamberlain, mû par son désir de faire la paix à tout prix avec Hitler, a entraîné le monde dans la guerre. Et a contrario, en montrant que la menace d?intervenir en force a aidé à la paix. Bon exemple de la façon dont, paradoxalement, il est parfois possible d?obtenir la paix par l?usage de la force et de la perdre, d?autres fois, par excès de pacifisme. Cela signifie-t-il que les Américains ont raison ? Peut-être. Mais au bout de 544 pages, on tombe sur un passage édifiant : « On ne peut envisager une paix sans lois et il ne peut y avoir de lois si nous invoquons certaines règles contre nos adversaires et d?autres pour nos amis. » Les bombes tombent et rien n?indique que les Serbes aient l?intention de se rendre. Tout le noeud du problème est là . Petit à petit, les cibles militaires disparaissent. Il y a de plus en plus de dommages civils et la crise des réfugiés, depuis le début de l?intervention des forces de l?OTAN, n?a fait que s?amplifier. Une guerre terrible nous attend. Je regarde les lumières de la rue et j?entends le chuchotement de Sacha, plus une constatation qu?une question : « On dirait que ça va se transformer en second Sarajevo. Ils vont nous bombarder, et encore nous bombarder, l?information finira par ennuyer tout le monde et ceux de Bruxelles et du Pentagone se serviront de nous pour faire leur guéguerre et tester leurs derniers modèles d?armes. Est-ce que nous comptons quelqu?un ? » © Tous droits réservés Le Courrier des Balkans. ---------------------------------------------------------------------------- ------------- Le Courrier des Balkans Banque de données sur la situation économique, politique et culturelle des Balkans Soutien aux médias démocratiques et aide à la formation des journalistes des Balkans Informez-vous : http://bok.net/balkans/ balkans@bok.net Tél/fax : 01-47-97-55-23 ------Syndicate mailinglist-------------------- Syndicate network for media culture and media art information and archive: http://www.v2.nl/east/ to unsubscribe, write to <syndicate-request@aec.at> in the body of the msg: unsubscribe your@email.adress