/b/u/g/ on 18 Feb 2001 08:39:29 -0000


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[nettime-fr] 100 000 seropositifs bresiliens menaces de mort par les brevets


100.000 séropositifs brésiliens menacés de mort par les brevets

Le gouvernement des États-Unis a déposé une requête contre le Brésil, ce
jeudi 1er février à Genève, devant l'organe de règlement des conflits de
l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), lui demandant de juger de la
conformité de la loi brésilienne sur la propriété intellectuelle avec les
accords internationaux sur les brevets.

En 1994, au nom des «droits de l'homme des patients», un laboratoire
pharmaceutique public de l'État de Pernambouc, le Lafepe, avait décidé de
copier l'AZT, dont l'anglais Glaxo Wellcome détient le monopole, pour
soigner une population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Les
industries pharmaceutiques, américaines en tête, avaient réagi à ce
«piratage généralisé» en exigeant l'adoption d'une loi sur les brevets, sous
peine de geler leurs investissements dans ce pays.

S'appuyant sur une clause prévue par l'Organisation Mondiale de la Santé
(OMS) prévoyant le cas d'urgence sanitaire, le Brésil vota une loi
compatible avec cette disposition, tout en reconnaissant les accords
internationaux sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce (ADPIC). La loi brésilienne sur la propriété
intellectuelle spécifie, en effet, que les détenteurs de brevets devront
produire leurs médicaments au Brésil au maximum trois ans après leur
introduction sur le marché.  Sans production locale, le fabricant sera alors
tenu de fournir sa formule et d'en permettre la fabrication moyennant
royalties, sauf si le propriétaire du brevet peut prouver que la production
locale est impossible.

Actuellement, plus de 90.000 personnes peuvent bénéficier gratuitement de
traitements contre le VIH au Brésil et le taux de mortalité dû au sida a été
réduit de 50 %, rappelle Médecins Sans Frontières (MSF). La production de
médicaments génériques a permis d'économiser, entre 1997 et 1999,
l'équivalent de 422 millions de dollars d'hospitalisation et de soins
médicaux, disponibles pour l'économie réelle.  Au Brésil, les médicaments
utilisés dans le traitement du sida sont en moyenne cinq fois moins chers
que dans le reste du monde. Grâce au travail coopératif entre les médecins
présents sur le terrain et les laboratoires pharmaceutiques publics, des
améliorations ont pu être réalisées dans les thérapies.

L'Organisation Mondiale de la Santé a reçu un mandat pour appliquer la
clause sanitaire en aidant les pays à fabriquer des antiprotéases, afin
d'offrir des combinaisons de traitement plus efficaces.  Les Brésiliens, de
leur côté, ont annoncé qu'ils ne fonctionnaient qu'à 20 % de leur capacité
de production pharmaceutique.  La requête des États-Unis auprès de l'OMC
vise donc à empêcher l'application des clauses d'urgence sanitaire au risque
de provoquer un crime contre l'humanité.  Si l'organe de règlement des
conflits de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) devait agréer la
requête des États-Unis, les décisions prises dans des organismes
internationaux comme l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pourraient
devenir illégales.

Rappelons qu'en 1997 une situation similaire s'était présentée en Afrique du
Sud. Le gouvernement d'Afrique du Sud avait décider de procéder à la
fabrication locale de médicaments pour lutter contre le sida (des
génériques) en accord avec ses propres lois et dans le respect des accords
Trips.  L'un des premiers médicaments produit fut le Taxol, sous licence de
Bristol-Myers Squibb (mais «inventé» par des laboratoires publics, donc aux
frais des contribuables américains).  Immédiatement, le Congrès des
États-Unis avait réagi en coupant toute aide financière à l'Afrique du Sud,
pendant que le secrétaire au Commerce «mit tous les moyens en oeuvre pour
faire capituler le gouvernement sud-africain», d'après les termes d'un
rapport au Congrès.

Nous voyons ici, une fois de plus, où conduit cette logique de «
privatisation» de pans entiers de savoirs au seul profit de quelques groupes
de pressions ou entreprises multinationales.  C'est cette même logique qui
aujourd'hui prévaut en matière de génome humain, de recherches
agro-alimentaires (avec les OGM), de logiciels ou de supports numériques, et
qui conduit à une multiplication des «brevets » concédant à quelques-uns des
droits exclusifs d'exploitation commerciale sur des connaissances qui sont
le patrimoine commun et collectif de l'humanité.

La plainte des États-Unis contre le Brésil s'inscrit dans une stratégie
globale, visant à généraliser la brevetabilité dans tous les domaines, y
compris pour des sujets relevant du vivant ou de la pensée.  En ce qui
concerne l'informatique, les accords sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) et qui ont pour but
d'intégrer les droits de propriété intellectuelle dans le système GATT/OMC
protègent, pour le moment, les programmes informatiques par le régime du
droit d'auteur et non par des brevets, contrairement aux États-Unis et au
Japon où le brevetage des logiciels est légal.

Tout comme les brevets sur les médicaments, les brevets sur les algorithmes
permettent à une minorité de s'approprier le patrimoine de l'Humanité.  Le
brevet permet de restreindre l'utilisation d'une innovation pendant vingt
ans.  Or, dans le cas des programmes d'ordinateurs, les brevets résultent le
plus souvent de la découverte ou de la simple application d'une propriété
mathématique ou d'un algorithme, qui fait partie du patrimoine de
l'humanité.  La plupart du temps, les découvertes effectuées par un
programmeur ne sont que l'adaptation d'idées déjà existantes à un problème
bien défini.

Le 29 novembre dernier, s'achevait à Munich la Conférence pour la révision
de la Convention sur le Brevet Européen (CEB) dont l'un des enjeux était
notamment de discuter de la mise en place ou non de brevets sur les
algorithmes (alors que ceux-ci ne sont que l'expression d'un cheminement
intellectuel), principalement pour légitimer les pratiques illégales de
l'Office Européen des Brevets qui, avant même que cela soit légalement
possible, a déjà accepté le dépôt de 30.000 brevets sur les techniques
logicielles ; de la même manière que furent brevetés des techniques et
connaissances sur les embryons, le cancer du sein, de la prostate, ainsi que
sur le génome humain.

L'Association pour la promotion et la recherche en informatique libre
(APRIL), entend protester contre l'ensemble des mesures qui favorisent
«l'appropriation intellectuelle» des savoirs par quelques groupes privés et
entreprises multinationale et la soumission des gouvernements aux pressions
de tels intérêts.

Consciente que le brevetage de médicaments a des implications bien plus
meurtrières que les «brevets de logiciels», l'APRIL se joint à l'appel,
lancé par 120 organisations non gouvernementales brésiliennes, pour défendre
le programme public de lutte contre le sida.

L'APRIL appelle les dirigeants des principaux organismes internationaux
chargés du développement et de la santé (ONUSIDA, OMS, UNICEF, PNUD) à
prendre position en faveur de la protection de la loi brésilienne sur les
brevets.

L'APRIL invite toutes les acteurs du logiciel libre (entreprises et
associations) qui ont combattu les tentatives de légalisation des brevets
logiciels en Europe, à prendre position en faveur de la loi brésilienne sur
les brevets conformément aux accords ADPIC sur la propriété intellectuelle
qui autorise la production, pour cause d'urgence sanitaire notamment, de
médicaments normalement protégés par une licence, sans l'accord du
propriétaire du brevet.

Paris, le 12 février 2001
APRIL
Association pour la promotion et la recherche en informatique libre

URL permanent de ce document:
<http://www.april.org/articles/communiques/pr-bresil.html>


Références

- US action at WTO threatens Brazil's successful Aids programme,
Médecins sans frontières, communiqué de presse, 1er février 2001.
<http://www.msf.org/advocacy/accessmed/reports/2001/02/pr-wto/>

- Brazil warns U.S. over AIDS patents,
Stephen Buckley, International Herald Tribune, 7 février 2001.
<http://www.msf.org/advocacy/accessmed/reports/2001/02/iht-brazil/>

Accès aux médicaments: droit ou charité ?
dossier du journal L'humanité hebdo, 10 février 2001.
<http://www.humanite.fr/journal/2001/2001-02/2001-02-10/2001-02-10-019.html>

Bush au secours du lobby pharmaceutique,
Communiqué de presse d'Act-Up, Paris, 1er février 2001.
<http://www.actupp.org/news/news_2001/news_01022001.html>

Campagne «Access to Essential Medicines», Médecins sans frontières.
<http://www.accessmed.msf.org/>

L'APRIL

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