Aris on Tue, 4 Nov 2003 04:26:07 +0100 (CET)


[Date Prev] [Date Next] [Thread Prev] [Thread Next] [Date Index] [Thread Index]

[nettime-fr] MetallosMedialab - Du contenu libre et partage sur les reseaux


Du contenu libre et partagé sur les réseaux
Proposition pour une initiative éditoriale ouverte



En pleine trêve estivale le New York Times, sous le titre révélateur « 
Fighting the Idea That All the Internet Is Free » (Combattre l'idée que 
tout l'Internet est libre), consacrait un dossier entier à 
l'affrontement entre la RIAA, la puissante association américaine des 
entreprises de l'industrie musicale, et les millions d'utilisateurs des 
systèmes directs d'échanges de fichiers peer to peer (2P2) comme 
feu-Napster, Hotline, eDonkey et autres Gnutella. Quelques jours 
auparavant, cette même RIAA avait lancé aux USA une série de procédures 
judiciaires contre 261 utilisateurs particuliers de réseaux P2P qui 
échangeaient des fichiers musicaux, signe plus que symbolique que les 
enjeux autour de la « propriété intellectuelle » vont désormais bien 
au-delà d'un simple feuilleton médiatique, et entrent dans une phase 
d'affrontement plus aiguë. En d'autres termes, les majors de l'industrie 
du spectacle veulent maintenant la peau de tous les systèmes d'échange 
sur l'Internet qui échappent aux règles du commerce électronique qu'elle 
ont défini.

Car les gesticulations de la RIAA s'inscrivent bien aujourd'hui dans 
cette tendance globale de l'ensemble des secteurs de la production 
immatérielle à renforcer les enclosures sur des pans entiers du savoir, 
des informations et des productions culturelle, considérés comme autant 
de « friches » à faire fructifier à l'ère numérique [1]. Au nom de la 
défense du « droit d'auteur » (et autres droits associés) c'est de plus 
en plus clairement les intérêts des marchands de biens immatériels qui 
se révèlent.

Des maisons de disques qui font la chasse aux « consommateurs » qui 
s'échangent des morceaux de musique via les réseaux P2P aux éditeurs de 
presse qui font payer aux « lecteurs » l'accès à leurs archives, de la 
taxe sur les photocopies acquitée par les bibliothèques et les 
établissements scolaires à la taxation en amont des « supports 
numériques » (disques durs, cd-rom, DVD, etc.) nous sommes bien face à 
un quadrillage du savoir numérique qui remet en cause bien plus de 
choses que de simples petites communautés grégaires d'utilisateurs des 
réseaux P2P, ou les petites habitudes de consommation gratuite (le « 
piratage ») des uns et des autres. L'enjeu est bien de savoir si 
l'Internet sera définitivement transformé en vaste supermarché virtuel 
ou si les réseaux continueront à être des supports de circulation de 
l'information et des savoirs, des espaces de création et de production 
libres.

Il est à ce titre assez révélateur que, loin de la surexposition 
médiatique, désormais même les scientifiques, suite à l'Appel de 
Budapest, en viennent à se remettre en cause les mécanismes de 
privatisation des publications académiques issues de leurs recherches 
affirmant en particulier qu'« une tradition ancienne et une technologie 
nouvelle ont convergé pour rendre possible un bienfait public sans 
précédent. La tradition ancienne est la volonté des scientifiques et 
universitaires de publier sans rétribution les fruits de leur recherche 
dans des revues savantes, pour l'amour de la recherche et de la 
connaissance. La nouvelle technologie est l'Internet. Le bienfait public 
qu'elles rendent possible est la diffusion électronique à l'échelle 
mondiale de la littérature des revues à comité de lecture avec accès 
complètement gratuit et sans restriction à tous les scientifiques, 
savants, enseignants, étudiants et autres esprits curieux. Supprimer les 
obstacles restreignant l'accès à cette littérature va accélérer la 
recherche enrichir l'enseignement, partager le savoir des riches avec 
les pauvres et le savoir des pauvres avec les riches, rendre à cette 
littérature son potentiel d'utilité, et jeter les fondements de 
l'unification de l'humanité à travers un dialogue intellectuel, et une 
quête du savoir commun » [2].

Dans ce contexte, il me semble que nous devons effectivement trouver non 
seulement des réponses politiques autour de la nécessité d'une 
production d'un savoir libre, mais --à l'image de ce qui s'est fait avec 
le logiciel libre-- nous devons aussi mettre en place des dispositifs 
praticables et concrets qui garantissent la pérennité d'un savoir et 
d'une culture librement accessibles et librement utilisables.

Car le succès du logiciel libre ce n'est pas seulement fondé sur le « 
rabachage » des fameuses « Quatre libertés » [3] chères à Richard M. 
Stallman, mais aussi et sans doute surtout sur des pratiques sociales 
qui se basent sur les licenses pour garantir la liberté du code produit, 
sur des outils comme les mailing lists pour relier les communautés de 
développeurs et/ou d'utilisateurs, comme les répertoires CVS pour 
travailler de façon coopérative sur le code, ou comme les répertoires 
FTP et leurs « miroirs » pour diffuser le code source et les binaires, 
etc. C'est cet ensemble qui fait que le logiciel libre existe non 
seulement comme discours, ou institution, mais comme pratique et comme 
multitude au travers d'un ensemble de communautés et micro-communautés.

Partant du « modèle » du logiciel libre --sans pour autant l'importer de 
façon mécaniste, il va de soit--, mais aussi des développements les plus 
récents des techno-sciences de communication et d'échange disponibles 
sur l'Internet, il me semble donc possible d'imaginer des dispositifs 
communs, distribués, coopératifs et ouverts, de mise en circulation de 
savoirs, qui permettrait aux circuits de l'édition alternative en ligne 
à la fois de se constituer ensemble comme un patrimoine cognitif libre, 
mais aussi, dans le même temps, de garantir à celui-ci l'existence et 
l'élargissement de ses propres réseaux de diffusion et de circulation.

Pour illustrer mon propos je prendrais un exemple : le réseau v2v [4] « 
une expérience hybride d'émission/réception à travers les frontières 
entre médias », constitué l'an passé au moment du contre-sommet de 
Genève par un certain nombre de collectifs de vidéo-activistes et de TV 
libres et qui se veut, sur le modèle des réseaux P2P un système de 
partage (sharing) de productions vidéo. Le côté novateur de v2v ne 
réside cependant pas uniquement dans l'utilisation des réseaux peer to 
peer comme moyen de diffusion alternatif --dont on comprend qu'elle 
permet de faire l'économie de structures lourdes, centralisée et 
coûteuse de diffusion--, mais aussi dans la conjugaison de ce choix 
d'une diffusion moléculaire de fichiers numériques avec un système de 
syndication fondé sur la norme XML et qui permet aussi la diffusion de « 
descriptifs » au format texte des vidéos misent en circulation via un 
système de syndication automatisée qui permet au moment même où un film 
est mis en circulation sur le réseau v2v d'en afficher l'annonce, le 
descriptif et les spécifications sur des sites Web, ou de diffuser ces 
informations sur des listes électroniques.

Mieux, v2v, c'est aussi le choix collectif de diffuser l'ensemble des 
productions sous licences libres Creative Commons [5] qui permettent 
dans le cas précis de garantir le droit d'une utilisation libre dans un 
cadre non-commercial.L'intérêt de Creative Commons réside justement dans 
le fait de fournir un système modulaire et souple de licences de libre 
utilisation, permettant d'en définir les termes, et allant jusqu'à 
produire les métadonnées rss/rdf nécessaire à l'intégration de la 
license au travail lui-même. Ainsi avec le choix du dispositif de 
Creative Commons le système v2v permet d'aller au-delà d'une simple 
logique de distribution à sens unique, mais bien de mettre en 
circulation des créations qui « contiennent » les conditions et les 
possibilités de leur utilisation dans l'ensemble des circuits 
alternatifs (centres sociaux, infoshops, hackmeetings, etc.).

De fait avec v2v nous assistons à une tentative de création d'un 
véritable réseau totalement autonome de diffusion/distribution vidéos, 
riche de l'utilisation des ressources de l'Internet (p2p, XML, 
syndication), structuré autour d'un certain nombre de spécifications 
techniques et protégé par un système de license qui entend garantir le 
caractère libre des productions misent en circulation, tout en 
protégeant leurs créateurs de toute captation commerciale (ben oui, les 
défenseurs du copyright n'hésitent pas à piller la créativité des 
mouvements alternatifs).

À partir de l'expérience de v2v, il me semble possible (et nécessaire !) 
d'imaginer un système de circulation de contenu et de coopération 
relativement similaire pour des revues, des publications et des sites 
Web. Un système qui aille au-delà de la simple syndication de titres, 
déjà pratiquée sans réserve par les webzines et les weblogs via les fils 
rss/rdf, mais qui s'appuierait sur l'idée d'une véritable « syndication 
de contenu » (c'est-à-dire le texte intégral des articles) sur la base 
des licences Creative Commons comme moyen de garantir le caractère 
ouvert d'une telle initiative. Ainsi, chaque structure éditoriale, tout 
en gardant ses spécificités et ses différences, participerait à un flux 
collectif et distribué de circulation de contenu sur les réseaux, bien 
au-delà de l'aire « naturelle » de chaque site Web, et contribuerait 
dans le même temps à l'existence d'une plus grande surface de visibilité 
collective des productions de l'édition alternative.

Un des intérêts, en effet, de diffuser des données structurée en XML 
(dont rdf et rss sont des implémentations) est la possibilité, à partir 
de celles-ci, de produire ensuite des documents de formats divers (comme 
le PDF, le RTF, le HTML ou le texte ASCI) et donc de suggérer des mode 
de diffusion, d'utilisation et de publication multiples. De même, comme 
pour les vidéos qui circulent via v2v, la norme XML permet d'attacher au 
document des métadonnées sur la source, l'auteur, le copyright, etc. à 
même de garantir les usages de celui-ci, et en même temps d'en faciliter 
l'indexation.

Ce réseau de publication distribué ne viendrait donc pas « concurrencer 
» la publication des divers textes sur les sites Web d'origine mais, 
tout au contraire, ouvrirait à termes des possibilités considérables 
d'élargissement de la diffusion de contenu.

Les modalités précises d'un tel projet sont, biensûr, encore à préciser 
et à affiner collectivement, en particulier quant à ses spécifications « 
techniques » et ses règles de fonctionnement, et ce sera d'ailleurs 
l'objet d'un atelier spécifique, le 13 novembre, dans le cadre du 
MétallosMedialab pendant le FSE de Paris [6]. Nous pouvons par contre 
d'ors et déjà en spécifier quelques contours.

1. Utilisation d'une norme rss/rdf étendue permettant de créer une 
définition commune pour la structuration des documents mis en 
circulation de façon automatisée via un système de syndication.Cette 
norme doit en particulier intégrer, outre le contenu lui-même, un 
certain nombre de métadonnées comme la date de publication, la langue, 
la licence, etc. [7].

2. Un système de publication décentralisé au maximum : chaque projet 
éditorial détermine de façon autonome ce qu'il met en circulation sur le 
réseau, sans passer par aucune forme de filtrage rédactionnel. Cela pose 
donc, de fait, la question d'une définition politique minimale de 
référence (une sorte de « manifeste ») pour le projet.

3. Utilisation des licences Creative Commons comme cadre souple (il y a 
11 déclinaisons possibles de Creative Commons) de définition du droit 
d'utilisation des textes mis en circulation dans un esprit de libre 
accès et de partage. Ce choix n'est pas uniquement formel, mais entendu 
comme un prolongement logique et indispensable du choix du partage de 
contenu qui perdrait beaucoup de son sens dans une logique restrictive 
de copyright.

4. Mise en place d'un système de « catalogage » des ressources 
disponibles, sur le modèle du site Common Content [8], qui fonctionne à 
la fois comme un portail et comme une base de données des publications 
mise en circulation sur le système distribué.

Pour conclure cette présentation, une dernière remarque : plus qu'un 
simple agencement d'outils cette initiative éditoriale ouverte doit être 
l'expression d'un choix politique des rédactions qui s'y engagent. Ce 
doit être l'expression d'un engagement concret à produire du contenu en 
libre accès et sous licence ouverte. C'est, certes, en contradiction 
avec une certaine « tradition » de l'édition --même contestataire-- où 
la mention « tout droit de reproduction réservé » relève presque du 
rituel...

Je crois cependant qu'il est déterminant que l'engagement pour le « 
libre » soit désormais réellement le signe d'un passage à l'acte, d'une 
pratique effective du partage des savoirs, de l'invention de nouveaux 
systèmes de publication et de diffusion partagés, d'une politique 
d'accès public à l'information et la connaissance. Un mouvement déjà 
engagé par certains éditeurs comme L'éclat [9] ou les Editions O'Reilly 
(qui a adopté le Founders Copyright de Creative Commons), et par 
certaines publications comme la revue de science humaine Culture & 
conflit qui vient d'annoncer la mise sous licence Creative Commons de 
l'ensemble de ses archives en ligne [10]. Un passage nécessaire pour 
répondre aux tenants des enclosures intellectuelles sur le terrain même 
de la constitutions d'un savoir et d'une création libres et partagés.

« Là ou les tristes sires du vieux monde cherchent à sauver leurs 
privilèges par la mise en marchandises de nos moindres espaces de 
liberté, à perpétuer leur pouvoir, changeant l'abondance en pénurie, le 
mouvement du Libre veut dessiner peu à peu une nouvelle façon de vivre 
ensemble, une société de création sans oligarchies économiques ni 
frontières de castes culturelles ou politiques, sans distinctions autres 
que celles de la reconnaissance des pairs et de l'utilité commune » [11]

Aris Papathéodorou
samizdat.net

-----

[1] Yann Moulier-Boutang, « Richesse propriété, liberté et revenu dans 
le « capitalisme cognitif »», in Multitudes, numéro 5, mai 2001, Exils.

[2] http://www.soros.org/openaccess/fr/read.shtml

[3] À savoir : liberté de copie, liberté d'utilisation, liberté de 
modification, liberté de re-diffusion y compris des versions modifiées. 
Voir : http://www.gnu.org/philosophy/philosophy.fr.html

[4] v2v Video Sharing – http://www.v2v.cc

[5] Creative Commons – http://creativecommons.org

[6] MétallosMedialab - Laboratoire des médias alternatifs, Paris 12-16 
novembre, Maison des Métallos, 94, rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris.
http://metallosmedialab.fse-paris.org/wiki/

[7] Voir par exemple : Christophe Jacquet, « Métadonnées et Dublin Core 
», OpenWeb (http://openweb.eu.org/articles/dublin_core/).

[8] http://commoncontent.org

[9] Michel Valensi, « Petit traité plié en dix sur le Lyber » : 
http://www.lyber-eclat.net/lyber/lybertxt.html

[10] http://www.conflits.org/breve.php3?id_breve=114

[11] Manifeste « Place au Libre » – 
http://www.freescape.eu.org/manifeste.html


-----

Copyright (c) 2003 Aris Papathéodorou.
Texte placé sous licence Creative Commons 
Attribution-NonCommercial-ShareAlike 1.0. Droit de reproduction et de 
modification sous réserve de mention du copyright et pour tout usage 
non-commercial.
Licence pour humains : http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/1.0/
Licence légale : http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/1.0/legalcode

 
 
< n e t t i m e - f r >
 
Liste francophone de politique, art et culture liés au Net  
Annonces et filtrage collectif de textes.
 
<>  Informations sur la liste : http://nettime.samizdat.net
<>  Archive complèves de la listes : http://amsterdam.nettime.org
<>   Votre abonnement : http://listes.samizdat.net/wws/info/nettime-fr
<>  Contact humain : nettime-fr-owner@samizdat.net