Alexandre Gurita on Mon, 1 May 2006 12:12:18 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] "En mai, Villepin fait l'expo qui lui plaît - Il met l'art contemporain «tricolore» en vitrine au Grand Palais à Paris"


En mai, Villepin fait l'expo qui lui plaît

Il met l'art contemporain «tricolore» en vitrine au Grand Palais à Paris.

par Henri-François DEBAILLEUX et Gérard LEFORT
Libération
QUOTIDIEN : mardi 18 avril 2006


Lors de sa visite inaugurale à la Fiac (Foire internationale d'art contemporain), le 10 octobre 2005, le Premier ministre de la France s'étonne, s'inquiète, s'angoisse. Si l'art moderne et contemporain ne va pas trop mal en France, son marché n'est pas au mieux (lire page 7). Sensible aux choses de l'argent, le Premier ministre suggère différentes mesures en faveur de la création et des artistes, parmi lesquelles un projet de relance censément grandiose : «Organiser au Grand Palais une grande exposition consacrée aux artistes français contemporains afin de donner une nouvelle visibilité à la création française.»

Vieille lune. Au-delà de la grandiloquence et de l'effet d'annonce, l'idée n'est pas neuve. A l'étranger, moult manifestations font régulièrement honneur à la production nationale (à New York, la biennale du Whitney Museum ou The Greater New York au centre d'art PS1, à Londres la Tate Triennal, actuellement en cours) sans pour autant en faire un fromage à relents patriotiques. La France elle-même depuis 1991 a sa biennale nationale à Lyon. Cette dernière prenait le relais de la défunte biennale de Paris, dont la dernière édition eut lieu en 1985 à la Grande Halle de la Villette. Depuis, tel ce bon vieux Phénix, le projet d'une relance parisienne se démenait dans un gros tas de cendres, errant de site en site, des anciens entrepôts de Bercy jusqu'aux bâtiments désaffectés de la Sernam aux Batignolles. C'est cette vieille lune que le Premier ministre de la France a réchauffée sur son sein en la proclamant nouvelle. Ce que confirme Olivier Kaeppelin (délégué aux Arts plastiques!
  du ministère de la Culture) : «Ce projet est né de discussions qui ne datent pas d'hier. Déjà, au milieu des années 90, des réflexions ont eu lieu pour relancer une manifestation importante qui soit un rendez-vous avec la création en France pour les Français mais aussi les visiteurs internationaux. L'exposition sera financée par le budget public à hauteur de 2 millions d'euros, plus 900 000 euros attendus via les recettes et le partenariat privé.»

Si, sur le fond, le projet est plaisant pour tenter de rendre publique la création contemporaine française, la méthode est par contre pour le moins brutale. Décrété fin décembre 2005, ce «nouveau rendez-vous avec la création en France» ouvrira ses portes au Grand Palais le 9 mai. Un délai plus que riquiqui pour un projet de cette ambition. Une grande exposition, de surcroît quand elle se veut «événementielle», nécessite de longs mois, voire plusieurs années de préparation. Cette précipitation aura découragé plusieurs personnalités pressenties pour être le maître d'oeuvre de «La force de l'art» : entre autres Jean-Louis Froment (fondateur du CAPC de Bordeaux) ou Catherine Millet, critique d'art et écrivaine. Faute d'un seul papa-maman, un embouteillage de marraines et parrains vont donc se pencher sur le berceau du gros bébé. Pas moins de quinze commissaires (critiques, historiens d'art, directeurs de musée...) ont été nommés en début d'année, chargés chacun de sélectionner u!
 ne dizaine d'artistes.

Foire d'empoigne. Quelles que soient les qualités des choix des uns et des autres, cette pléthore, qui évoque plus la foire d'empoigne (à chacun son stand) que l'exposition, occulte une vraie réflexion collective sur les jeux et enjeux de la création contemporaine. S'inquiéter par exemple de cette incantation ministérielle à redorer le blason de l'art contemporain, à l'heure où la politique culturelle du gouvernement actuel consiste tous azimuts à se désengager financièrement et «moralement», pour déléguer la puissance publique aux entreprises privées et aux régions, l'entourloupe consistant comme de coutume à faire passer un choix idéologique pour une fatalité. La «visibilité» souhaitée risque donc de virer à un flou fort peu artistique, même s'il a été très récemment précisé par le ministre de la Culture, que «La force» serait pérennisée en triennale. Dans le même esprit d'improvisation, c'est la Réunion des musées nationaux qui a été chargée de la production de la manifes!
 tation, alors que l'art contemporain n'est pas prioritairement son domaine.

Et les artistes ? Directement concernés mais pour la plupart pas consultés (les oeuvres sont extraites de collections publiques et privées), ils semblent se diviser en plusieurs cas d'embarras. Celui qui y est sans avoir été invité, comme Christian Boltanski (lire page 8). Celui qui n'était pas invité mais qui a tout fait pour l'être. Celui qui n'y est pas et qui ne voulait pas y être. Celui qui n'y est pas et qui est furax de ne pas y être. Celui qui y était et a préféré s'en aller à temps (lire l'entretien avec Gérard Fromanger page 8). Résultat de ce chacun pour soi, certains artistes comme Lavier, Sarkis, Ming, Closky ou Hirrschorn seront présentés plusieurs fois par différents commissaires, et d'autres, et non des moindres, tels Philippe Cognée (lire page 8), Miguel Chevalier, Patrick Tosani, n'y seront pas.

Politique. Mais alors, pourquoi tant de célérité dans le calendrier, qui a empêché par exemple la confection d'un catalogue ? Bien obligé de convoquer un motif bêtement politique. A moins d'un an de la présidentielle, le Premier ministre de la France, candidat putatif et par ailleurs poète, a sans doute voulu se donner une légitimité artistique qu'on ne lui connaissait pas, au point que «La force de l'art» a été rapidement rebaptisée «Expo Villepin». Droite pour droite, cette exposition électoraliste évoque la mémorable exposition Pompidou de 1972. A l'époque, déjà au Grand Palais (malédiction ?), le président de la République avait convoqué 72 artistes pour enchâsser son goût légendaire pour l'art moderne, et surtout Vasarely. Total : contestation et inauguration musclée sous protection des CRS. Mais ni l'époque, ni les enjeux, ni surtout l'engagement politique des artistes d'aujourd'hui, c'est-à-dire pour la grande majorité leur désengagement, ne sont comparables. Même si !
 les déboires du CPE et la méthode Villepin du passage en force (de l'art ?) en ont traumatisé certains, qui se demandent de quelle «farce de l'art» ils vont être en mai les dindons, il y a peu de chances que le vernissage donne lieu à une grande performance d'art vivant et protestataire, genre «La force de la matraque».

 
 
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