Louise Desrenards on Sun, 6 Oct 2013 22:25:42 +0200 (CEST)


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[Nettime-fr] À propos du nouveau livre de Mehdi Belhaj Kacem - "Être et Sexuation"


Un seul livre vous manque et tout est dépeuplé...
La sortie d’un nouvel essai de Mehdi Belhaj Kacem est toujours — puisque cette fois encore — un événement contre la médiatisation du temps et souvent apportant une grande joie... Tel son dernier ouvrage, Être et Sexuation, paru chez Stock au début du mois de septembre, qui ne craint pas d’aborder la sexuation sous les termes de la philosophie renaissant toujours de ses cendres, tel le phoenix, parce qu’elle intègre à la fois des fondamentaux philosophiques sur le sujet de la sexuation de la pensée, entre masculin et féminin (et la question de la différenciation), en même temps que le désir et le plaisir, l’individuel et le social, depuis la vie propre de l’auteur, connaissance et expérience — toujours dans une émergence de ses idées.

Depuis deux ans il travaillait sur cet ouvrage en "nioques de l’avant-printemps" et voici le livre sorti juste avant l’automne... Ce qui me plait toujours avec MBK, comme avec Baudrillard, c’est la singularité critique provocante qui toujours ouvre sans ambages une nouvelle fenêtre sur le monde occidental... Au moment de l’extension des droits de la famille aux homosexuels c’était une fois encore entrer dans le risque d’être mal compris ou malentendu. En effet, c’est toujours l’actualité que les ouvrages de MBK (comme autrefois ceux de Baudrillard) percutent en s’en inspirant — s’en saisissant pour mieux s’en dessaisir,— pour parler d’autre chose à propos du monde où exister dans le défi de la pensée comme trace humaine est un combat.

Même si MBK ne cite pas explicitement Baudrillard, qu’il n’a pas jamais adopté parmi ses sources, mais d’autres philosophes contemporains qui lui sont proches : qui ne pourrait se souvenir des procès d’intention publics à l’encontre de cet auteur défunt, à travers des concepts ambigus de la langue notamment en matière de sexisme, alors qu’il exprimait par d’autres chemins l’idée de la sexuation de la pensée et de la vie, et qu’au fond le rôle joué dans la forme par l’individuation chez Darwin ou Simondon pouvait inspirer ?

Ainsi MBK peut-il procurer en même temps un regard différent sur la philosophie de Catherine Malabou, opposé à la connotation hégélienne qui est prêtée à la philosophe en référence de ses premiers thèmes, et dont il la sépare du côté de Deleuze (que du coup il relit de cette façon) — que dans ses livres elle revendique elle-même, et à la lisière mitoyenne des deux positions sexuées de l’_expression_, comme un champ nouveau à explorer et à inventer, poser le problème d’une réconciliation par la création.

Chaque fois les deux auteurs comparés nous ont fait — donc nous ferons toujours — le cadeau d’un événement de la culture et de la philosophie qui offre un point de vue, une vision compréhensive, uniques en eux-mêmes car ils sont performatifs, et par conséquent non reproductibles comme les savoirs académiques qu’ils évaluent (par exemple dans le cas présent entre existentialisme et phénoménologie, mais pas seulement), et par là critiques de leurs confrères ou les ignorant de fait, — d’où souvent les haines attisées et qu’on les fasse saigner...

Chaque ouvrage est une performance, un accomplissement de la philosophie par tous les moyens de l’existence, y compris littéraire ou poétique, vivante. Voilà pourquoi c’est miraculeux face à la mortification d’une tradition disciplinaire intégriste du jugement en voie de putréfaction, les plus avant-gardistes inclus, où Mehdi Belhaj Kacem est l’ange de la provocation vitale par l’irrespect des normes universitaires, et des conventions sociales au goût dominant du jour, et quant à lui à l’aune de la liberté de penser, de le réfléchir, et de l’exposer. Calmement, depuis une existence toujours révoltée.

Je dirai qu’en plein environnement de la banalisation post-politique et de l’indifférence à/de la pensée comme paradigme international, la parution d’un tel texte et de surcroît chez un éditeur comme Stock, glorieux pour avoir transmis en français les femmes écrivain anglophones, grâce à André Bay, l’éditeur mythique disparu cette année, trompe la routine de la rentrée littéraire... Si ce n’est qu’un tel essai soit en situation de valoir un Prix à son auteur, une récompense qui serait globalement méritée et nous apporterait un peu de bonheur cultivé. Ce livre, qui trace sa pensée singulière sur la forme (et en arrive presque à envisager autrement la question de la structure, en terme de métamorphose et de mobilité, et c’est dire si MBK demeure non-aristotélicien), au-delà d’affects de notre temps, qu’il déconstruit par le simple fait d’en réfléchir des concepts trans-disciplinaires entre langue, sciences, et philosophie, génératifs de pensée, « prédictibles », et ce qui sans s’en préoccuper les dépasse. Et depuis la vie qui l’instruit citant des philosophes contre l’oubli, tout simplement en discutant dialectiquement avec eux en quête d’une vision critique pertinente des idées exécutives... Tout cela, en tout, était était inespéré.

Les éditions Stock dans l’actualité de leur devenir et leurs nouvelles réorientations attestent par cette publication récente qu’elles restent avisées sur le temps, dans une voie d’exception. Je pense que c’est — sera — un de nos essais en langue française remarqué par ceux qui nous sont attentifs à l’Étranger, qui croient encore en notre capacité d’émergence ou d’invention, sur quelque chose qui construit nos vies propres et nos vies sociales, ici et ailleurs et les modes de vie et les traditions y seraient-ils différents.

Peut-être un hommage à l’artiste tunisienne Chiraz Chouchane. Aujourd’hui elle poursuit des études de philosophie à la Sorbonne, incidemment commencées avant de connaître Mehdi Belhaj Kacem. Mais il y a un an elle partageait encore sa vie avec l’auteur (et demeurerait en grande amitié avec lui).
A. G. C.

Écoutez Mehdi Belhaj Kacem parler de son ouvrage ; il est filmé sur son lieu d’écriture, en Corrèze, par Nicolas Despres-Chopin et John Jefferson Selve, à la fin de l’été, juste avant la sortie du livre :


... La suite :


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