sebastian.luetgert on Sat, 17 Jul 1999 20:12:40 +0200 (CEST)


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<nettime> Gilles Deleuze on Human Rights [French]


[i know this is late in coming (and should have been translated), but anyway...]


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Gilles Deleuze on Human Rights [French]

[...]

Tout le respect des droits de l'homme, c'est vraiment, on a envie presque
de tenir des propositions odieuses. Ça fait tellement partie de cette
pensée molle de la période pauvre dont on parlait. C'est du pure abstrait.
Les droits de l'homme, mais qu'est-ce que c'est? C'est du pure abstrait.
C'est vide. C'est exactement ce qu'on disait tout à l'heure pour le désir,
ou ce que j'essayais de dire pour le désir. Le désir, ça ne consiste pas à
ériger un objet, à dire: je désire ceci. On ne désire pas, par exemple, la
liberté et cetera. C'est zéro. On se trouve dans des situations. 

Je prends l'exemple actuel de l'Arménie. Il est tout récent, celui-là.
Qu'est-ce que c'est, la situation? Si j'ai bien compris, on me corrigera,
mais si on me corrige, ça ne change pas grand chose. Il y a cet enclave
dans une autre république soviétique, il y a cet enclave arménienne. Il y
a une république arménienne et il y a une enclave. Bon, ça, c'est une
situation. La première chose. Il y a ce massacre, là, que des Turcs, des
semblants des espèces des Turcs, je ne sais pas, pour autant qu'on sache
actuellement, je suppose qu'il soit ça, massacrent des Arméniens une fois
de plus, dans leur enclave. Les Arméniens se réfugient dans leur
république, je suppose, tu corrige toutes mes erreurs, et là, il y a un
tremblement de terre. On se croyait dans le Marquis de Sade. Des pauvres
hommes ont traversé les pires épreuves vécues des hommes, et à peine ils
arrivent là, à l'abris, c'est la nature qui s'y met. 

Je veux dire, on dit: les droits de l'homme. Mais enfin, c'est des
discours pour intellectuels, et pour intellectuels odieux, et pour
intellectuels qui n'ont pas d'idées. D'abord, je remarque que toujours ces
déclarations des droits de l'homme, elles ne sont jamais fait en fonction
avec les gens que ça intéresse, les sociétés d'Arméniens, les communautés
d'Arméniens et cetera. Leur problème, c'est pas les droits de l'homme.
C'est quoi? 

Voilà un agencement. Comme je disais, le désir, c'est toujours à travers
des agencements. Voilà un agencement. Qu'est-ce qui est possible pour
supprimer cette enclave ou pour faire que cet enclave soit vivable?
Qu'est-ce que c'est, cette enclave là-dedans? Ça, c'est une question de
territoire. Ce n'est pas une question de droits de l'homme, c'est de
l'organisation de territoire. Qu'est-ce qu'ils vont supposer que
Gorbatchev va tirer de cette situation, comment il va faire pour qu'il n'y
ai pas cet enclave arménienne livré là aux Turcs menaçants autours? Ce
n'est pas une question de droits de l'homme. Ce n'est pas une question de
justice. C'est une question de jurisprudence. Toutes les abominations que
subi l'homme sont des cas. C'est pas des démentis à des droits abstraits.
C'est des cas abominables. On dira que ces cas peuvent se ressembler, mais
c'est des situations de jurisprudence. 

Le problème arménien là, c'est typiquement ce qu'on appellera un problème
de jurisprudence. C'est extraordinairement complexe. Que faire pour sauver
les Arméniens, et que les Arméniens se sauvent eux-mêmes de cette
situation? Et en plus, ce tremblement de terre s'y met. Un tremblement de
terre qui a aussi ces raisons, des constructions qui n'étaient pas bien,
qui n'étaient pas faites comme il fallait. Tout ça, c'est des cas de
jurisprudence. Agir pour la liberté, devenir révolutionnaire, c'est opérer
dans la jurisprudence. Quand on s'adresse à la justice, la justice ça
n'existe pas, les droits de l'homme ça n'existe pas.  Ce qui compte c'est
la jurisprudence. C'est ça l'invention du droit. Alors, ceux qui se
contentent de rappeler les droits de l'homme et de réciter les droits de
l'homme, c'est des débiles. Il ne s'agit pas de faire appliquer des droits
de l'homme. Il s'agit d'inventer des jurisprudences où, pour chaque cas,
ceci ne sera plus possible. C'est très différent. 

Je prends un exemple que j'aime beaucoup, parce que c'est le seul moyen de
faire comprendre ce que c'est la jurisprudence. Les gens n'y comprennent
rien, enfin, pas tous. Les gens ne comprennent pas très bien. Je me
rappelle, moi, le temps où il a été interdit de fumer dans les taxis.
Avant, on fumait dans les taxis.  Il y avait un temps où on n'avait plus
le droit de fumer dans un taxi. Les premiers chauffeurs de taxi qui ont
interdit de fumer dans les taxis, ça a fait du bruit, parce qu'il y avait
des fumeurs. Et il y avait un, c'était un avocat. 

J'ai toujours été passionné par la jurisprudence, par le droit. Si je
n'aurais pas fait de philosophie, j'aurais fait du droit, mais justement,
pas du droit de l'homme, j'aurais fait de la jurisprudence. Parce que
c'est la vie. Il n'y a pas de droits de l'homme, il y a la vie, il y a des
droits de la vie. Seulement la vie c'est cas par cas. 

Donc, les taxis. Il y a un type qui ne veut pas être interdit de fumer
dans un taxi. Il fait un procès au taxi. Je me souviens très bien, parce
que là, je m'étais occupé d'avoir les attendus du jugement. Le taxi était
condamné.  Aujourd'hui, pas de question. Il y aurait le même procès, il ne
serait pas condamné le taxi, ce serait le usager qui serait condamné. Mais
au début, le taxi a été condamné. Sous quels attendus? Que, lorsque
quelqu'un prenait un taxi, il était locataire. Donc, l'utilisateur de taxi
a été assimilé à un locataire. Le locataire a le droit de fumer chez lui.
Il a le droit d'usage et d'appui. C'est comme s'il faisait de location.
C'est comme si ma propriétaire me disait: non, tu ne va pas fumer chez
toi. Si, si je suis locataire, je peux fumer chez moi. Donc le taxi a été
assimilé à un appartement roulant dont l'usager était le locataire. 

Dix ans après, ça s'est absolument universalisé, il n'y a pratiquement
plus de taxi où on peut fumer au nom de quoi. Le taxi n'est plus assimilé
à une location d'appartement, il est assimilé à un service publique. Dans
un service publique, on a le droit d'interdire de fumer. Tout ça est
jurisprudence. Il n'est pas question de droit de ceci ou de cela. Il est
question de situation, et de situation qui évolue. Et lutter pour la
liberté, c'est réellement faire de la jurisprudence. 

Alors là, l'exemple de l'Arménie me parait typique. Le droits de l'homme,
ça veut dire quoi? Ça veut dire: ah, les Turcs, il n'ont pas le droit de
massacrer les Arméniens. D'accord, les Turcs n'ont pas le droit de
massacrer les Arméniens. Et après? C'est vraiment des débiles. Ou pire, je
crois que c'est tellement des hypocrites, là, toute cette pensée des
droits de l'homme. C'est zéro, philosophiquement c'est zéro. Et la
création du droit, ce n'est pas les déclarations des droits de l'homme. La
création, en droit, c'est la jurisprudence. Il n'y a que ça qui existe.
Donc: lutter pour la jurisprudence.  C'est ça, être de gauche. C'est créer
le droit. 

[...]

L'Abécédaire de Gilles Deleuze, avec Claire Parnet, Vidéo Éd.
Montparnasse, 1996

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